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          Toute personne ayant lu la Bible ou en ayant entendu parler se demande fatalement un jour pourquoi Adam et Ève ont été chassés du Paradis Terrestre. Châtiment ? Grosse bêtise ? Péché originel, c'est-à-dire "gros problème situé à l'origine même de notre existence et qui nous pourrit définitivement la vie" ?

        J'avoue avoir déjà eu, depuis ma jeunesse, de nombreuses interprétations de la question. En effet, on démarre avec l'interprétation classique, religieuse (on a désobéi et on est puni - MAIS - un merveilleux Sauveur est venu à notre secours, ouf ! on le remercie mais on ne voit pas vraiment ce qui va mieux qu'avant) ; ensuite on poursuit avec l'interprétation  psychanalytique (à quoi tu touches ? C'est pas bien ! Bien fait !!! Mais ça ne guérit rien) ; et ensuite on s'embarque dans la gnose, la théosophie, la pomme symbolique, le couple symbolique, le paradis symbolique, le gardien du seuil symbolique avec son épée flamboyante... J'ai écrit un poème dessus, ici mais c'était une sorte de pirouette, une rêverie au bout du compte.

         Et aujourd'hui il me vient une autre idée, que je vous soumets sous la forme d'un petit conte. En effet, qui a dit que le problème venait d'une pomme ? Le fruit de l'arbre de la "connaissance" pourrait aussi pousser à terre ...

     

    Sommes-nous au Paradis ?

     

    « On est au Paradis terrestre. On est bien. Tout est bien. Tout est beau. Tout est parfait. 

          Mais on est bête : on veut toucher, s'approprier quelque chose. Comme disait Apollinaire dans Le Brasier (Alcools):

          « J'aimerais mieux nuit et jour dans les sphingeries
           Vouloir savoir pour qu’enfin on m’y dévorât. »

           Fatale erreur !  Alors on attrape un joli champignon  rouge et blanc : une amanite tue-mouches… Champignon hallucinogène !

    Amanite tue-mouches

      

          Et là, pas besoin de père fouettard pour nous envoyer dans le pire délire. Il suffit d’avoir sucé son doigt et la muscarine révèle tout son pouvoir.

           On voit un énorme serpent prêt à nous avaler…

     Sommes-nous au Paradis ?

     

        Et hop ! On est enfilé dans le tunnel comme l’éléphant de Saint-Exupéry dans son boa.

    Saint-Exupéry-boa ayant avalé un éléphant

     

             Et on est pris là-dedans.

             Et on ne sait plus qui on est. Ni d’où l’on vient. Ni où l’on va. 

           On a peur. Il fait tout noir. On étouffe.

           On  entend des cris, ça pleure, ça souffre sûrement quelque part. C’est pas rigolo du tout, ça sent le châtiment dont on ne sort pas.

          Et puis le serpent, il bouge… ! Il a sa vie, le serpent !

          Ou bien c’est nous qui le faisons bouger … ? Mais on n’y voit rien, on ne sait même pas ce qu’on fait !

          Quand est-ce qu’on va sortir de là ?!!

         … Et pourtant, si jamais on se réveillait, eh bien on verrait qu’on n’a jamais bougé. Qu’il n’y a même pas eu de serpent. Ni serpent, ni cris, ni noir… et peut-être même pas de champignon.

           Quelle histoire alors… !

     

    Que dites-vous de mon interprétation ?  Trop simple, n’est-ce pas ?

            Mais on peut toujours rêver…   

     

    Sommes-nous au Paradis ?

     

     

          


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      Je suis en voyage alors qu'il n'y a pas de chemin. Et je me déplace alors que je ne bouge pas. C'est exactement ce que l'on ressent quand on est dans un train. Excellent support de méditation...

     

    Par les vitres, tout disparaît progressivement dans la brume. 
    Rien n'a d'existence réelle puisque tout disparaît.
    Je ne me déplace pas, mon mouvement n'est qu'intérieur.


           Rien ne me concerne, rien ne me parle, puisque je ne suis peut-être qu'une marionnette imaginaire. Et que le marionnettiste perdu ne me fait plus fonctionner.

     Autour de moi l'ordre des wagons a été totalement interverti.
     Les gens qui sont montés devant doivent aller derrière.
    Les gens qui sont montés derrière doivent aller devant.


         Chacun doit rebrousser chemin et tous se croisent au point "zéro", celui où s'annulent les notions de devant et de derrière, d'avant et d'après. Ils cherchent leur place et je me demande s'il y a assez de places en ce monde pour tant d'attentes. Alors que le point zéro est vide et ouvert à tous. 

     

    Notre-Dame de Paris

     

          À l'arrivée la cathédrale est ouverte et dans la foule silencieuse je me glisse jusqu'au point où je pourrai me recueillir. Me fléchir et m'absorber. Un flot continu y coule comme un sang, la vie profonde et puissante d'une mère qui porte et qui protège. Un mot. Un seul mot suffirait.

    *

           Et puis voilà. Je me souviens. Parsifal, le chevalier  innocent de l'opéra qui a marqué ma jeunesse, est au bout de sa très longue errance. Il ne le sait pas. Mais il vient de pénétrer dans le sanctuaire sacré du Montsalvat *. Un guide l'accueille et l'invite à ôter ses armes. Mais il ne garde que la lance sacrée, celle qu'il rapporte de sa longue quête, celle dont il ne s'est jamais servi pour se défendre mais qui transforme l'être même qu'elle touche, le rendant instantanément à sa propre nature.

     

    Parsifal de retour au Montsalvat

     

         À son grand étonnement, il découvre que la campagne rit. Elle n'a jamais ri de cette façon ! Pourquoi rit-elle alors que pleure en lui l'attente du pardon, cette immense douleur dans laquelle il s'est si longtemps enseveli jusqu'à devenir une marionnette insensible, soumise aux injonctions d'une créature démoniaque ?

           Pourquoi la campagne rit-elle de cette joie innocente et pure ? 
         Parce qu'aujourd'hui est le jour du Pardon. Aujourd'hui est le jour de la fin de la quête. Aujourd'hui doit être oubliée cette errance sans fin, cette errance sans nom, cette errance qui n'a jamais commencé puisqu'elle n'existe plus. Cette errance oubliée parce que pardonnée.

          Reçois le baptême de cette eau que pleurent tes yeux, dit-il ; et crois au Salut.

           Et c'est alors que retentissent les cloches.

     

    Cloches de Notre-Dame


           Les cloches du Montsalvat.      

     Ces cloches l'appellent à entrer dans le Temple dont il est le prêtre.
    Ce Temple qui est le Cœur même de son Cœur.
    Et là, il sait qu'à lui seul reviendra la charge d'ouvrir la châsse.
    Là châsse d'où surgiront les ruisseaux de Lumière infinie. 

           Mais dans l'opéra de Wagner, l'opéra somptueux se referme comme un beau livre.

          Normal ; sinon la "scène finale" n'aurait pas de fin... Ni de personnages... Ni de musiciens... Ni de théâtre…


     * Je préfère ce titre à celui de "château du Graal"

     

     


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  •     Savoir revient à avoir franchi une marche dans l'évolution en cette vie ; et lorsqu'un savoir est acquis on se sent solide, affermi comme sur un sol rassurant et résistant. C'est une sécurité. Un viatique même vis-à-vis de la société. 

    Savoir ou ne pas savoir


         Mais lorsque ce savoir est remis en question, lorsque vous devez franchir une nouvelle marche, alors tout bascule jusqu'à l'angoisse.

     

         Durant cette vie, tout est planifié : vous allez apprendre à marcher, à parler, à devenir autonome, à acquérir les connaissances nécessaires à votre survie, puis nécessaires à l'apprentissage de votre métier. Vous allez peut-être même apprendre d'autres choses, des réflexions de maîtres qui vont vous  ouvrir à une meilleure compréhension de vous-même et du monde.

          Mais tout se perd. Bien sûr certains ont une mémoire sensationnelle. Tant mieux pour eux ! Ils en savent beaucoup plus que d'autres et peuvent les épater en leur détaillant les champignons, les étoiles ou les timbres-poste. Ils peuvent donner des conférences et passionner d'autres individus en quête de connaissances. Mais un jour ou l'autre, on oublie... Voyez le spectre d'Alzheimer ! Un jour ou l'autre, on perd ses facultés. On a su tant de choses, et cela disparaît de la mémoire. Et un jour vient où l'on ne sait plus marcher ; où l'on ne parle plus... Un jour viendra où l'on ne saura même plus respirer.

          D'autres vous soignent, mais vous-même, un jour, ne saurez plus vous soigner.

         Et quand il faudra mourir... Savez-vous où vous allez ? Quoi que l'on puisse prétendre, l'angoisse est présente : c'est une marche à gravir, qui débouche sur l'incertain, l'inconnu. On ne sait pas.

           Mon père était enseignant ; il  savait des tas de choses, et c'est un de ces jours où il partageait avec d'autres tant de savoirs, à Paris, qu'il est brusquement parti. Il n'a eu que le temps, paraît-il, de dire à sa voisine :

         " Excusez-moi, Madame, je crois que je vais me trouver mal".

          Et il s'est "trouvé mal", il s'est évanoui, il a disparu comme ça, en pleine séance, laissant juste dans le coffre de sa voiture un bouquet d'immortelles pour son épouse - car avait-il eu tout de même un pressentiment... ?

           Moi, à l'époque, je savais des tas de choses. J'ai donc dressé le thème astral du soir de sa mort. C'est arrivé pile au lever de Vénus. Oui, Vénus qui peut-être avait gouverné sa vie, lui qui s'était spécialisé dans la poésie des trouvères et des troubadours.

           Et j'ai continué d'apprendre : l'astrologie karmique ; l'astrologie holistique, relationnelle, initiatique, thérapeutique, psychique... Mais si vous ne vous entraînez pas couramment, vous oubliez ! J'ai tout oublié de ce que j'ai appris, de ce que j'ai su faire - sports, langues, connaissances.

           C'est comme une montagne que l'on gravit dans la jeunesse et que l'on doit redescendre en vieillissant. C'est ainsi que, tandis que Platon accumulait des volumes de philosophie, son maître Socrate allait marchant dans les rues et proclamant :

          " Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien !"

     

    Socrate

     
             En effet, ce savoir est éphémère. S'il sert ou rassure ici-bas, il n'est d'aucun secours dès lors que le souffle nous est ôté.

          Certains affirment (d'où la notion d'astrologie "karmique") que l'on garde certaines connaissances en mourant, et peut les réactualiser très rapidement lors d'une réincarnation peu éloignée. Aucune preuve n'a pu cependant en être apportée ! Pourquoi Mozart était-il si doué ? Oui, mais le cas est isolé tout de même ; et l'on connaît par ailleurs des quantités d'enfants "prodiges" qui sont simplement des singes savants pressés comme des citrons par leurs éducateurs. Et en admettant qu'un individu ait emporté avec lui toutes ses facultés pour les réutiliser dans une existence ultérieure, la seule conclusion en serait que finalement la "vie" est plus longue qu'on ne le croit et qu'elle peut chevaucher une période de "mort" apparente...

         Croyez-vous avoir acquis un savoir et être confortablement assis sur vos certitudes ? N'importe quoi - un accident, une maladie - peut tout remettre en question .

     

     Dakini-Hot seat   Dakini - Holocaust

     

      Ces cartes tirées du tarot des Dakinis dont j'ai déjà parlé (mais manifestement inspirées, comme souvent dans les tarots récents, des lames du Marseille !) expriment parfaitement cette notion d'incapacité à se tenir en sécurité ici-bas.

          Certains, prudents, affirment ne tenir pour vrai que ce qu'ils expérimentent. Ils laissent donc le courant de la vie décider pour eux de ce qui est vrai ou non. C'est une sage réserve. Abstenons-nous de tout jugement et laissons les choses se faire. Ainsi une chute brutale dans le néant ne nous surprendra-t-elle pas plus qu'un vol d'hirondelles.

     

     


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  •  « Souviens-toi homme que tu es esprit

    et la chair est plus que le vêtement
    et l'esprit est plus que la chair
    et l’œil est plus que le visage
    et l'amour est plus que la mort.  »

         écrivait Paul Claudel dans "La danse des Morts", livret pour l'Oratorio composé par Arthur Honegger en 1930.  

     

            Ce matin j'ai trouvé ceci dans l’Évangile de Thomas*:

    «  Le jour où vous serez nus
    Comme des enfants nouveau-nés
    Qui marchent sur leurs vêtements,
    Alors vous verrez le Fils du Vivant.
    Pour vous il n'y aura plus de crainte. »

           Ainsi ôtons-nous petit à petit les vêtements qui nous recouvrent, tout en régressant dans le temps et en effaçant peu à peu toute notre vie.

         Ailleurs dans le même texte Jésus prononce ces paroles :

    «  Si la chair est venue à l'existence à cause de l'esprit,
    c'est une merveille,
    mais si l'esprit est venu à l'existence à cause du corps
    c'est une merveille de merveille.
    Mais moi je m'émerveille de ceci :
    Comment cet Être qui Est
    peut-il habiter ce Néant ?  »

        J'ai retrouvé alors un dessin esquissé autrefois à la suite d'une méditation.

     Martine Maillard-Voici mon coeur vivant

      
         On m'avait invitée à descendre dans les profondeurs de moi-même, comme dans une cave et à creuser le sol pour y trouver prétendait-on un trésor caché. Mais je ne trouvai aucun trésor, contrairement à ceux qui exhumaient triomphalement le Saint-Graal...  

       Dépitée, je refis le travail chez moi dans la solitude et je découvris alors ce cadavre, ce cœur de chair arraché et décomposé environné de sceptres et de couronnes brisés perdus dans la terre...Et alors une voix issue d'un merveilleux cœur de lumière se fit entendre et me dit : "Voici mon cœur vivant !" 

          En effet, le vivant n'était pas celui qui était enseveli dans le coffret, mais le blanc, celui qui flottait librement telle une colombe  par dessus ; mais qui lui conférait cependant toute son énergie, de manière à lui donner l'apparence de la vie... Et le cœur de chair en fin de compte, n'était animé que de la vie de l'Autre.

           Et c'était là mon seul trésor caché.

         Puissions-nous rendre ce cœur à la Lumière dont il est issu !

     


     * Cet évangile récemment découvert contiendrait des propos réellement tenus par Jésus et relevés au fur et à mesure par son frère Thomas, dit le Didyme c'est-à-dire "jumeau".      

     


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  •      Dans notre ville, il n'y a pas de personnes à la rue. Des services sociaux adaptés font qu'ils sont  systématiquement pris en charge et conduits à un local pour dormir, ou soutenus pour l'acquisition d'un logement. Cependant on a coutume de rencontrer certains visages, notamment devant la poste : de jeunes quêteurs momentanément sans travail. Et souvent leur bonne figure et l'habitude que l'on a de les croiser fait que les gens ne les méprisent pas. 

         C'est ainsi que ce matin, en portant exceptionnellement quelques cartes postales à la boîte pour une amie, je rencontrai ce jeune homme si souriant et courageux, avec lequel j'ai déjà lié connaissance.

             Je savais qu'il avait une compagne possédant elle un travail, et au moins une petite fille (j'appris ce matin qu'il avait aussi un garçon plus âgé), et donc qu'il mendiait pour ne pas rester inactif et rapporter quelque argent au foyer, "pour acheter les couches" m'avait-il dit un jour en souriant ; et que pendant les absences de son amie c'était lui qui pouponnait.

            Mais je ne m'attendais pas à ce que ce matin il se mette à me parler tant, que je restai à l'écouter pendant près de trois quarts d'heure ; partageant ainsi un peu de sa vie en regardant circuler les passants, dont quatre au moins, bien connus de moi, me firent la bise, et quelques-uns - à la sauvette il est vrai - déposèrent une pièce (minime !) dans le chapeau.

           Je n'osai pas le photographier, mais me promis d'essayer d'en esquisser un dessin approchant pour que vous vous en fassiez une idée. Je ne lui ai pas demandé son nom, car qu'est-ce qu'un nom sinon des lettres sur un registre d'état civil... Mais il me convia au fil du discours qu'il avait 34 ans, ce qui achève de le situer par rapport à ce dessin qui certes le rajeunit un peu, mais campe tout de même son allure de Poulbot débraillé, avec une casquette et un ensemble style "chasse" vert bouteille. Ses ongles étaient noirs, mais ses yeux étaient plus clairs que la lumière ; c'est pourquoi je les ai dessinés si grands... Ses cheveux châtain clair étaient gras et tombaient mollement sur ses épaules.

    Rencontre

         Ainsi en tailleur toute la journée, il souriait aux gens et n'aspirait qu'à leur parler.

         Après quelques échanges sur la petite fille, son frère et leurs envies de cadeaux de Noël, nous parlâmes de l'habitude contemporaine de couvrir les enfants de cadeaux coûteux, et de l'oppression exercée par la société de consommation sur les parents à cette intention. Peu à peu nous en arrivâmes au problème de l'argent...

         Ce jeune homme avait eu une mère issue d'un milieu très bourgeois, dans la famille de qui on trouvait un Inspecteur d'académie, des directeurs de services postaux ; mais elle-même ne pouvait pas faire grand chose, étant atteinte d'une maladie orpheline, et avait épousé un ouvrier.

        J'objectai que pour l'épouser, elle lui avait certainement trouvé des qualités. Mais il enchaîna en insistant sur le drame qu'il avait vécu, à voir durant toute son adolescence sa mère se plaindre à sa propre famille de ce que son mari ne lui apportait pas le confort qu'elle souhaitait. Et de constater chaque jour que son père était critiqué, humilié, attaqué sans cesse. Cadet (en seconde position) d'une fratrie de trois garçons, il s'était vite révolté et avait, au début, "mal tourné". Cependant il avait apparemment une grande affection et estime pour son tonton Inspecteur, qui avait été révolutionnaire en mai 68 et s'était rangé ensuite par nécessité, mais restait révolté à l'intérieur de lui et donc le comprenait.

         Mais en ce qui le concernait lui, il ne pouvait pas sortir de sa révolte contre cette société de diplômes et d'argent. Quand sa petite fille était née, sa mère lui était tombée dans les bras, elle qui quelques années plus tôt l'avait jeté dehors comme un vaurien. Où était donc l'amour ?

        Sa grand-mère maternelle par contre, qui habitait une grosse demeure bourgeoise à 25 km de chez lui, n'avait pas pu se déplacer pour voir l'enfant, plaidant que "c'était trop loin" !

         Tandis que du côté de son père tout le monde, quoique nécessiteux, restait charmant et gentil avec lui et s'était précipité pour connaître le bébé.

         Un jour qu'il s'était rendu à une fête de famille du côté de sa mère, il avait été ahuri de tomber sur un énorme assemblée de "PDG" en costume-cravate, et s'était trouvé aussitôt happé par sa grand-mère qui l'avait précipité sous la douche tandis que sa mère exhibait un costume qu'elle avait acheté spécialement pour lui...  Il en riait encore, disant que quelques heures plus tard il était redevenu à nouveau aussi débraillé.

         Il disait : 

    «  Les gens vivent enfermés dans des cloisons qu'ils se sont eux-mêmes fabriquées. La religion... Première invention pour se donner bonne conscience ! Ils veulent atteindre le Paradis ! Mais où il est le Paradis ? Vous l'avez vu quelque part, vous le Paradis ? Non ! On est tous faits pareil et on finira tous en poussière et voilà tout ! »

        Il parlait haut en se servant de ses mains et toujours en souriant. Il me disait que la plupart du temps les gens le fuyaient parce qu'ils n'avaient jamais une minute pour parler. J'évoquai Socrate, mais il connaissait davantage Gandhi. Je m'avisai alors qu'il se tenait assis en tailleur exactement comme le Mahatma. Il poursuivit malicieusement :

    « Savez-vous que Gandhi a écrit à Adolf Hitler, en 1939, un courrier diplomatique commençant par : "Cher ami " ? Vous rendez-vous compte ? L'homme le plus doux, le plus porté à l'effacement de soi-même, le plus partisan de la paix qui soit, qui écrit "cher ami" à l'homme le plus violent, le plus égocentriste, le plus avide qu'on ait jamais connu ?!  »

       Il voyait les services sociaux s'acharner sur son garçon alors que lui essayait de l'élever correctement, et se demandait s'ils ne feraient pas mieux d'arrêter de se la jouer "compatissant" et de s'occuper un peu de leurs propres gosses ; alors que du côté de sa famille "riche", le petit cousin s'était vu offrir une voiture pour ses dix-huit ans ! Rien que ça ! Mais où était donc l'intérêt de l'enfant ? Dans l'amour et l'attention positive des parents, ou dans une pluie de présents uniquement matériels ?

            Nous ne savions pas l'heure qu'il était et lui ne voulait pas le savoir. Mais je finis tout de même par l'interrompre et me sauver... Je l'aurais presque embrassé.

         En effet je devinais que j'avais rencontré le mendiant qui ne frappe qu'une fois, dans l'interstice entre deux cloisons de certitudes. Qui est-il ? D'où vient-il ? Où va-t-il ? Il entre comme le vent en laissant transparaître un grand pan de lumière.

          Et vous découvrez qu'il a toujours été là, posé, offert, mais que vous ne l'aviez jamais remarqué.

           Il faut s'être arrêté pour percevoir l'immobile.

     

    Rencontre

     


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