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Par Aloysia* le 6 Juillet 2006 à 12:00
Avertissement !
Chers amis lecteurs, si le personnage de Robert Bichet vous intéresse, je vous invite à vous rendre sur son site personnel, à l'adresse indiquée ici.
Robert Bichet, sous le portrait de Jacques Albrespic
son maître en composition du Conservatoire National de Tours.
Au mur, une encre de l'artiste
(Photo Daniel Besson, journaliste à l’Écho-Marseillaise)Robert Bichet, directeur du Conservatoire d'Issoudun, est un artiste atypique, multiforme, et comme il aime à le dire lui-même avec sa bonne humeur habituelle : "sauvage" !Après s'être mis à griffonner sur les nappes de papier des bistrots parisiens où il aimait à venir dîner
Né en juillet 1947 à Bracieux, dans le Loir et Cher (à proximité du parc de Chambord en pleine forêt Solognote), ce fut déjà un miraculé dès la naissance : sa mère ne devait pas avoir d'enfant, cependant il s'annonça ; il naquit prématurément après 6 mois de gestation, dans la maison familiale, aucune couveuse n'étant disponible dans la région suite à la débâcle de l'après-guerre, et malgré ses trois livres de poids seulement, survécut grâce à la canicule qui sévit cet été-là. Atteint de convulsions à l'automne, il fut laissé pour mort par le médecin, et fut ondoyé ; mais le lendemain matin, il vivait de nouveau, à la grande stupéfaction du médecin !
Très fragile toute son enfance, il resta dans la maison paternelle - une auberge dont les spécialités dans le domaine du gibier allaient en faire l'une des premières tables du pays blésois - jusqu'à l'âge de sept ans : cette période nourrit abondamment son imaginaire d'un attachement indéfectible à la nature et à la terre solognote - transposée aujourd'hui dans le Berry, où il habite. Malheureusement, dès qu'il fut en état de le supporter, son père le plaça dans une pension dont il avait entendu dire grand bien, mais fort éloignée - à Vendôme. Ce fut pour le jeune Robert une rupture effrayante qu'il vécut comme une mise au bagne : et en effet, dans cette pension qu'il ne quittait qu'une fois par mois, il fut horriblement malheureux et souvent maltraité, car nul ne comprenait son caractère rêveur et particulièrement original.
Heureusement pour lui il poursuivit ses études à Tours, et put bientôt exiger de son père d'entrer au Conservatoire de cette ville. Sa fréquentation chaque été des clients fortunés reçus par ses parents dans leur auberge ("Le Relais" de Bracieux, une étoile Michelin pour la cuisine, avec une diligence devant la porte qui roulait encore parfois pour conduire les clients jusqu'à Chambord) lui avait donné le goût des arts, de la peinture, de la musique et de la poésie. Son premier piano lui fut même offert par une de ces clientes, et sa première "vente-dédicace" d'un ouvrage poétique (Triptyque, paru aux éditions Millas-Martin en 1970) fut organisée par son père au Château de Villesavin près de Bracieux, en présence de l'actrice Madeleine Sologne qui en avait composé la préface.
("comme les ouvriers des années 30" disait-il), Robert Bichet développa une technique de dessin
très personnelle à partir de taches d'encre de chine soufflées.
Ces premières esquisses datant des années 70 reflètent la nostalgie de son enfance en Sologne,
lorsqu'il rêvait couché dans les fossés sous la lune, regardant les racines des arbres
et au loin les vieilles maisons à demi abandonnées dans les clairières...
Voici maintenant un extrait d'une de ses plus belles oeuvres musicales : "Neuf espaces sonores" pour orchestre et bande de sons enregistrés, créée à Issoudun le 6 juin 1986 pour l'inauguration de l'Ensemble de Loisirs Sportifs (piscine à vagues, jeux d'eau, bowling et squash), sur un argument des enfants des écoles de la ville, qui effectuaient des figures dans les bassins.
Il s'agit de la 2e partie de l'oeuvre (le second des "neuf espaces"), intitulée La Cascade, qui est interprétée par l'orchestre des professeurs et des élèves du Conservatoire sous la direction du compositeur, avec le concours de Francesca Paderni aux Ondes Martenot.
(Tous droits réservés, avec l'aimable autorisation de l'auteur et de l'interprète)
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Par Aloysia* le 9 Juillet 2006 à 12:00(suite de l'article du 6 juillet)
Passionné de Jean-Sébastien Bach, Robert Bichet décida d'étudier le hautbois au Conservatoire Régional de Tours, où il fut admis dans l'excellente classe de Gilbert Flory : son rêve était d'interpréter les cantates... Mais la connaissance plus approfondie de la musique lui en révéla bientôt d'autres dimensions, et tandis qu'il travaillait d'arrache-pied son instrument en brûlant les étapes, il devenait l'auditeur assidu de France Culture, chaîne qui allait lui faire découvrir la musique contemporaine. Sa vocation allait devenir la composition.
Après avoir été l'élève de Jacques Albrespic à Tours, il fut reçu brillamment en 1972 au Groupe de Recherches Musicales de Radio France où, aux côtés de Pierre Schaeffer, il travailla sur les sons, d'une manière très personnelle et souvent démarquée par rapport à ses condisciples.
Parallèlement il poursuivit des études universitaires de musicologie et d'arts plastiques, qui lui permirent à la fois d'étudier les techniques de gravure et de faire des stages de direction d'orchestre, pour enfin obtenir ses deux licences.
Les débuts en composition musicaleAuteur déjà de trois plaquettes de poésie : "Triptyque"(Tours, 1970), "De la fenêtre"(Paris, 1972), et "Mes Saisons de Bracieux"(Paris, 1973), il commença à composer lorsqu'il fut nommé professeur d'Éducation Musicale à La Courneuve (Seine-Saint-Denis). C'est en coordination avec les enseignants de français du collège Raymond Poincaré qu'il décida de mettre en musique les œuvres poétiques de ses élèves : pourtant, le secteur était difficile, comme chacun sait. Mais c'est ainsi que Robert Bichet pensait exorciser ses propres mauvais souvenirs d'école : en aidant des enfants eux-mêmes en révolte contre l'institution scolaire à s'exprimer, en les faisant monter sur les planches pour prendre publiquement leur revanche !
Ce fut un triomphe à La Courneuve cet été 1979, et une révélation pour toute une génération de collégiens du CES Raymond Poincaré :"Du fond du Gouffre", vaste fresque poétique en forme de De Profundis pour deux chœurs d'enfants jouant de la flûte à bec et des percussions, chœur d'adultes et instruments solistes - hautbois, ondes Martenot, vibraphone, glockenspiel, célesta, jeu de cloches-tubes, gongs, tamtams, cymbales... et appeaux - , un récitant et une bande de sons enregistrés, allait marquer pour Robert Bichet le début d'une longue série d’œuvres écrites POUR ses élèves, avec l'aide d'amis musiciens (du moins au début).
C'est peu après que le jeune compositeur allait obtenir le siège de Directeur du Conservatoire Municipal d'Issoudun, où il s'engagea à poursuivre sur cette même lancée : "Trois métamorphoses du Rêve" allaient voir le jour à Issoudun en 1982, puis en 1985 "le Voyage d'un Papillon", écrit pour Amnesty International d'après des dessins de Folon, et exécuté en l’Église Saint-Cyr d'Issoudun avec des enfants de maternelle aux percussions, joints à l'orchestre des élèves et des professeurs de l’École de Musique.
L'année suivante, 1986, voyait naître l’œuvre dont nous avons déjà parlé : "Neuf espaces sonores" pour orchestre et bande de sons enregistrés.
Mais voici un poème de Robert Bichet. Il est extrait de "Poèmes pour mes dessins de nuit", écrit pour les élèves du Collège Raymond Poincaré de La Courneuve en 1978-79 et publié ultérieurement à Issoudun par l'édition locale François Villon (1997).
Les chats n’ont pas fini
de m’endormir en marchant
sur les touches blanches
et noires du piano désaccordé…
***
Comme vous marchez silencieusement, hiboux à quatre
pattes !… Les arbres défaits passent et repassent
le long de vos promenades nocturnes et vous n’y
pouvez rien, magiciens gris aux yeux de clair de lune.
Vos rêves font vos regards et vos doigts transforment
vos déserts sablés de nuits polaires…
Orion vous guide le long des herbes aux branches
cassées et vous dormez le jour sur des fauteuils
de velours.
***
À vous ces maisons isolées mystérieux voyageurs
des ombres…
Une tête en pierre sillonne votre passage…
Les arbres s’illuminent et vous faites le mort
dans vos greniers désordonnés…
***
Vous n’entendez rien, vous êtes ivres… le soleil
réchauffe l’écaille caressante du lézard assoupi
sur le crépis jaunâtre de vos demeures inviolables !…
***
Un oiseau migrateur transporte un lyre sur le ciel
bleu-cendré de ces longs après-midis traînards.
Ô mystérieuse complicité des pierres…
Et vous géants du soir aux yeux de verre,
vous rôdez solitaires sous les fenêtres
à la recherche de nouveaux déserts.
Au pas de tes silences
(extrait de "Histoire-avalanche en 20 dessins")
Encre et aquarelle de Robert Bichet (1990) -
Tous droits réservés.
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Par Aloysia* le 11 Juillet 2006 à 12:00Parlons un peu du "Voyage d'un Papillon", composé en 1985 à la demande de membres d'Amnesty International.
Robert Bichet est un farouche défenseur des droits de l'homme. Rien ne le révolte plus que le racisme, la violence, la torture. Il s'est jeté tout en entier dans ce projet, bâti autour des images du calendrier dessiné cette année-là pour Amnesty International par Jean-Michel Folon.
De ce calendrier, on ne trouve plus aujourd'hui que ce livre illustré.
Mais sur le site ci-après on trouve de belles images très proches.
Cette année-là, en tant que directeur du Conservatoire d'Issoudun chargé d'animations dans les écoles, Robert avait entamé avec des institutrices de maternelle un grand travail de fabrication d'instruments et d'utilisation de percussions avec des tout-petits. Il décida de les utiliser dans sa musique, en leur expliquant bien de quoi il s'agissait :
"C'est un papillon qui est retenu dans des fils de fer barbelés ; et cela lui fait très mal, au papillon, cela lui déchire ses ailes... Mais à la fin, on enlève les barbelés, et le papillon s'envole, très haut, très haut vers le ciel bleu, si bien qu'à la fin on ne le voit plus..."
Voici ce que cela donne :
Au fond, derrière l'orchestre, on voit les enfants assis à leurs pupitres avec leurs maîtresses, avec devant eux les boîtes contenant leurs objets sonores (photos de Martine Geoffroy, journaliste au Berry Républicain).
L'image peut être agrandie.Voici le début de l'oeuvre, qui dresse l'atmosphère de la première partie : "Souffrance". Tout y exprime l'angoisse, les appels au secours, les chaînes, la douleur. Les enfants frottent sur des boîtes de conserves qu'ils ont eux-mêmes arrangées.
Au milieu, un récitant (ici, le comédien Bernard Martin) se lève et énonce les droits de l'homme.
Au fond à gauche vous apercevez les amplificateurs des Ondes Martenot, un instrument particulièrement aimé de Robert Bichet, qui sont toujours tenues par Francesca Paderni.
(Photo M. Geoffroy)Alors commence la troisième partie : "Liberté". Tout un univers de ciel bleu s'ouvre, et comme un point qui diminue on voit le papillon qui se noie peu à peu dans un océan de bonheur. Les enfants soufflent dans des appeaux qui évoquent les oiseaux et la lumière. Vous constaterez que Robert Bichet, plus contemplatif que jamais comme dans sa poésie, fait tenir interminablement les notes, comme pour évoquer l'inaltérabilité du ciel.
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Par Aloysia* le 12 Juillet 2006 à 12:00Dessin de Robert Bichet (2002) en illustration de son poème "L'hiver"
Eh ! oui, nous partons, vers les Côtes d'Armor où les bateaux fleurissent !Plouha : vue du sentier douanier vers l'anse de Port-Moguer et la presqu'île de Gwin-Segal.
Nous entendrons le chant des mouettes et le ressac farouche des houles sur les rochers.
Nous marcherons, le nez au vent, peinant dans les montées, sur les sentiers côtiers qui voisinent les criques.
L'été nous appelle ! Retrouvons les embruns, les vagues caressantes,
Puis les moules riantes et les crêpes fumantes...
Quelques bolées de cidre au marché de Paimpol,
Puis les galets qui glissent et le ballon qui vole !
Bréhec, Sainte-Eugénie, nous voici de retour :
O itron santez Anna, ni ho caro bepred !
(Bénissez-nous, Sainte Anne)
Mais comme il s'agit de Robert Bichet (qui n'est pas l'auteur du texte ci-dessus, de moi bien entendu), rappelons ce qu'il aime à répéter sans cesse :
"Dans la vie, lorsqu'une difficulté vous assaille, pensez à ce schéma :
Chaos - Espace transformé - Éternel départ
Vous verrez que cela fonctionne toujours ainsi : après la souffrance, vient la guérison, puis le nouveau départ."
Je vous laisse donc pour une dizaine de jours contempler son "Éternel départ", aquarelle que bien des gens ont voulu lui acheter, mais dont il ne se séparera jamais.
Ce dessin, comme tous ceux de Robert Bichet, évoque la vie qui ressurgit
du chaos, et qui dévoile de nouveaux horizons, des perspectives toujours plus belles.
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Par Aloysia* le 29 Juillet 2006 à 12:00Lorsqu'il vivait à Paris, Robert Bichet fit la connaissance du peintre et graveur Michel Salsmann, et s'enthousiasma pour une de ses oeuvres, intitulée "Mardi 13 février" : c'est une lithographie représentant quatre baigneurs nus dans une piscine sans eau, alors que derrière la vitre il y a la mer...Reproduction de "Mardi 13 février", lithographie de Michel Salsmann
Après en avoir obtenu de son ami l'autorisation d'utiliser son titre, Robert, conscient de la vision volontairement tristounette porté par celui-ci sur un quotidien grisâtre, décida d'écrire une série de "sept" (car c'est un chiffre sacré !) "Mardi 13 février", en y ajoutant la mention "ou une journée à vivre".
Pour le moment, il n'en a écrit que trois (et en restera peut-être là, puisque c'est aussi un chiffre sacré ?), qui possèdent entre eux ces deux points communs :
1 - ce sont des œuvres dédiées à des groupes précis d'interprètes, et plus ou moins de commande.
2 - elles ont pour trame un poème du compositeur, toujours le même, tantôt dit, tantôt chanté, et toujours illustré à la fin par des diapositives projetées derrière les musiciens.
Ce poème, écrit par Robert Bichet en 1983 alors qu'il se trouvait à Naxos, dans les Cyclades, s'intitule "Escale", et le voici :
Robert Bichet dans le port de NaxosESCALELes bateaux se préparent lentement
Leurs antennes se tendent comme des doigts
La lune oublie d’éclairer cette nuit sans ombre
et le temps passe comme un chat silencieux
l’escale fugitive…
partir sans jamais arriver…
Tant d’espoirs foisonnant mais en vain…
Ce beau miroir d’argent
Ce ciel demi-ouvert
Et cette mort latente suspendue à son fil…
Ce pourrait être celui d’Ariane ou de Kronos
ou celui d’une attente mystérieuse.
Détestable araignée
tu tisses encore une histoire triste
et tes yeux de verre s’illuminent
comme ceux des cargos
qui vont bientôt partir
nonchalamment, paresseusement.
Et la nuit magicienne transportera leurs rêves…
Robert Bichet, Naxos, 15 juillet 1983
© "Parcours secret derrière Orion", Éditions François Villon, 1997- 1 -
Le premier "Mardi 13 février ou une journée à vivre" fut écrit pour le percussionniste Daniel Ardaillon et sa classe du Conservatoire de Montluçon - donc pour un ensemble de percussions comportant bien sûr vibraphones, xylophones et autres instruments harmoniques, auquel s'adjoignent des choeurs, un récitant, plus un violon, une clarinette et une trompette. Il fut donné en création par ses dédicataires au théâtre municipal de Montluçon le 12 mai 1987.
"Mardi 13 février" à Montluçon, dirigé par Daniel Ardaillon
Le second est le plus étonnant, et c'est celui dont je vais vous joindre ici deux extraits.
Passionné par tous les instruments de pointe, comme les ondes Martenot, les percussions nouvelles (gongs chinois, wood blocks, temple blocks, shimes...) ou les bandes de sons modifiés, il est naturel que Robert Bichet ait fait un jour la connaissance de Bernard Baschet, créateur de toute une gamme d'instruments dont le fameux "cristal" construit par Jacques Lasry, que l'on fait "chanter" en glissant dessus... (vous avez sûrement déjà expérimenté ce principe en passant votre doigt mouillé sur la circonférence d'un verre à pied).
Cette seconde oeuvre, agrémentée de voix, d'un violon, d'une flûte, d'un basson et d'un piano tenus par les exécutants mêmes de l'instrumentarium Baschet, fut créée le 19 mars 1988 au Centre Culturel Albert Camus d'Issoudun, sous la direction du compositeur.
Robert Bichet en répétition avec les instrumentistes Baschet :
on peut voir au fond les feuilles métalliques où se réverbèrent les voix,
et devant les différents instruments avec leurs pavillons d'amplification.
Juste sous la partition à droite, un cristal, dont pendent les petits tubes.
En voici un premier extrait, où l'on entend les voix réverbérées par de grandes feuilles métalliques, et aussi le cristal - très doux et "magique" (ce sont des instants de la journée... ici très contemplatif vers midi).
Ici un second extrait, issu de la conclusion de l’œuvre (dynamique, le soir), où, sur fond de "ressort" (cet instrument qui évoque une sorte de vrombissement sourd est en forme de ressort avec un haut-parleur, et s'utilise en frottant dessus avec une baguette), on assiste à un magnifique ballet de percussions rythmiques.
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