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Par Aloysia* le 4 Janvier 2012 à 12:00
Comme je vous l'annonçais sur le blog que je consacre à Robert Bichet, celui-ci a donné hier soir à Issoudun une conférence passionnante et très riche sur Villa-Lobos, compositeur brésilien du début du 20e siècle (1887-1959), aussi prolifique qu'étonnant par sa modernité.Très connu dans son pays, il l'est beaucoup moins dans nos contrées où l'on entend surtout ses œuvres pour la guitare ou la célèbre vocalise des bachianas brasileiras n°5 que fit découvrir Joan Baez (encore ne sait-on pas toujours qu'il en est l'auteur !).
Je voudrais aujourd'hui vous faire découvrir son talent d'orchestrateur à travers une oeuvre fascinante : un ballet qu'il composa en 1917 et qui par bien des aspects peut faire penser au fameux Sacre du Printemps de Stravinsky (créé en 1913) - mais aussi au non moins contemporain Daphnis et Chloé de Maurice Ravel (1912) 1.
En effet cette oeuvre, qui a pour cadre la forêt amazonienne et pour sujet l'amour (comme Daphnis et Chloé dont les amours étaient abritées par le bruissement des arbres), s'inspire des légendes indiennes primitives (comme le Sacre du Printemps qui puisait dans le fonds mythologique de la Russie profonde) et présente un chatoiement fabuleux grâce à des trouvailles instrumentales (piano utilisé comme percussion, glissandos aux cordes, étonnantes associations d'instruments et surtout imitation parfaite des chants d'oiseaux).
Mais venons-en au fait : oui, le sujet de l'oeuvre est un oiseau, qui peut encore rappeler l'Oiseau de Feu de Stravinsky ; mais Villa-Lobos, autodidacte ayant puisé à toutes les sources d'inspiration (guitariste de rues, saxophoniste à ses heures il s'est intéressé à la musique populaire et au jazz ; aventurier de la grande forêt il a étudié la musique guarani et a noté tous les sons de la grande forêt... nous en aurons la preuve dans cette composition !) ne fait que se situer dans un courant, puisque l'oiseau qu'il met en scène est aussi l'Oiseau "fétiche" de tous les autochtones : celui que l'on appelle Uirapuru.
Cet oiseau au chant sublime mais qui ne chante que très rarement, en période de nidation et à l'aube, se nomme aussi "musician wren" en anglais, et - j'ai fini par le trouver à force de recherches ! - "troglodyte arada" en français, ce qui me permet de vous fournir en lien un site en français, le mot "Uirapuru" ne menant qu'à des sites portugais ou anglais.Le mot lui-même est évidemment transcrit de la langue guarani, et la merveilleuse mélodie qu'il exprime a tant frappé les hommes que, suivant les légendes, l'on disait tantôt que l'avoir entendu chanter une seule fois suffisait pour procurer un bonheur éternel, tantôt qu'en posséder chez soi un spécimen naturalisé pouvait procurer la chance à vie.
Écoutons-le plutôt :
Vous pouvez également l'entendre encore plus clair et pur ici, dans une vidéo qui se contente de reproduire mot pour mot l'article consacré à l'oiseau par wikipédia en portugais mais que son auteur refuse pourtant de laisser intégrer à un site... En écoutant la qualité musicale de ce chant vous ne serez pas surpris que tout un chacun en reste ébahi, et surtout qu'un compositeur s'en soit emparé !Et maintenant, venons-en au ballet.
Si j'en ai bien compris l'argument, Uirapuru aurait d'abord été un jeune homme d'une beauté exceptionnelle, dont toutes les jeunes filles étaient amoureuses.
Hélas, un jaloux l'aurait un jour pris pour cible, et frappé mortellement, il se serait alors changé en oiseau, et se serait envolé en chantant un chant sublime... le chant de l'Uirapuru (voir la légende ici).Je vous propose donc de l'écouter maintenant, grâce aux deux parties disponibles sur Youtube, accompagnées de splendides prises de vues de la forêt amazonienne qui s'accordent à merveille avec la somptuosité de la musique. Dès le début, si vous avez bien écouté tout à l'heure, vous percevez la transcription orchestrale du chant de l'oiseau, suivie de l'évocation de ce dernier à la flûte. Puis nous sommes en présence des indiens, et enfin du merveilleux oiseau devenu jeune homme (un violon solo souligne sa beauté...) . A la 4e minute se fait entendre un saxophone alto - du jamais vu dans la musique d'alors ! sauf chez Darius Milhaud 2, un complice de Villa-Lobos car il a vécu très longtemps au Brésil - qui est peut-être la représentation de l'homme jaloux et mal intentionné.
Après une nouvelle danse de liesse des autochtones, à la 6e minute, surgit un silence "habité", destiné à camper le décor de la jungle chargée de menaces... avec pédale de piano dans le grave, suraigu des cordes, petits cancans au hautbois : un passage saisissant et très personnel !
Dans la seconde partie se poursuit ce martèlement, puis ce balancement qui évoquent la menace planant sur le jeune homme dans la forêt et menant peu à peu au drame... Juste un long arpège de harpe semble indiquer la trajectoire d'une flèche3 pour atteindre celui qui jusque là dansait avec insouciance ; et bientôt un violon solo d'une grande tendresse, associé à la flûte en trilles, suggèrent l'envol du petit être libéré... Surtout, écoutez jusqu'au bout : la fin est bouleversante.
1 Ou même au "Prince de Bois" de Bela Bartok (1917).
2 Dans son ballet "La création du monde" (1923).
3 À bien lire la légende, il n'est pas certain qu'il s'agisse d'une flèche ; et si le jeune homme est mort d'un simple ensorcellement alors la harpe décrit sa prodigieuse transformation.
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Par Aloysia* le 6 Janvier 2012 à 12:00
Comme je vous l'avais annoncé dans mon article du 8 décembre 2011, trois journées vont être consacrées à la musette de cour en la ville de Toulouse la semaine prochaine.
En cliquant ci-dessous vous agrandirez l'intérieur du prospectus et pourrez lire le détail des opérations.
(Téléchargez ici le PDF)
Il va sans dire que l'un des principaux intervenants est Jean-Christophe Maillard, que citait Viviane-Russalka dans son article sur les baroques méconnus au sujet de Michel Corette, et que l'on peut voir et entendre jouer dans quelques vidéos publiées sur le site Youtube (par exemple celle-ci) où il ne faut pas le confondre avec un guitariste du même nom.
Ces journées seront annoncées vendredi matin 13 janvier sur France-Musique par David Christoffel dans le cadre de son émission "Les oreilles sensibles", de 7h45 à 7h56. Pour ceux qui n'auraient pas la possibilité de suivre l'émission, elle est disponible en réécoute sur le site de France musique aussitôt terminée. Le lien ci-dessus est réactualisé au vendredi 13 janvier ; mais hélas j'ai remarqué que dans le cas d'une réécoute l'émission est mise en réserve le temps de son téléchargement, et remplacée par le direct... au cas où vous seriez surpris ! D'autre part David Christoffel n'arrive pas tout de suite, il faut d'abord laisser finir Christophe Bourseiller qui, à mon regret, ne semble pas vraiment comprendre toute la richesse de cet instrument délicieux qu'est la musette (voyez ma réaction ci-dessous dans une réponse à un commentaire).Il faut rappeler que Jean-Christophe, ayant connu une formation musicale poussée avec la pratique de la flûte en même temps qu'il se passionnait pour la musique traditionnelle bretonne et pratiquait le biniou, a su ressusciter totalement la musette de cour tombée en désuétude depuis le XIXe siècle, en en faisant refabriquer par des luthiers d'après des gravures de l'Ancien Régime. Après en avoir fait le sujet de sa thèse, il en reste le principal interprète et enseignant avec le belge Jean-Pierre Van Hees, et la représente dans des tournées avec des orchestres baroques à travers le monde entier - particulièrement dans le répertoire de Rameau.
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Par Aloysia* le 10 Janvier 2012 à 12:00
Pour faire suite à cet article, quelques mots encore de Villa-Lobos afin de le faire mieux connaître dans sa grande originalité et son génie d'orchestrateur.
Bien qu'ayant composé pour les grandes formes classiques (des symphonies, des concertos, des sonates, des quatuors, des trios... mais toujours en prenant ses distances et en gardant sa liberté devant les structures), il s'est surtout singularisé par ses "Bachianas Brasileiras", au nombre de neuf (comme les neuf Muses !), une forme qu'il a créée à partir des Suites de J.-S. Bach (d'où le mot "bachianas") mais en restant fidèle à l'esprit brésilien (d'où l'adjectif "brasileiras"), et par ses Choros (au nombre de quatorze ! Mais les deux derniers sont perdus), qui est une forme traditionnelle de musique de rue au Brésil (voir l'article ici).
Outre la Bachianas brasileiras 5 évoquée dans l'article précédent, qui est très connue pour sa première partie, Aria (la seconde, vive et gaie, s'intitule Dança) et utilise un groupe de violoncelles - le premier instrument qu'ait pratiqué Villa-Lobos avant le piano, la clarinette et la guitare - , une autre Bachianas Brasileiras est également bien connue des violoncellistes : la première, avec son Prélude (Modinha, le second mouvement) .
(Pour ceux qui auraient du mal avec la réception sur youtube, je ne l'ai malheureusement pas trouvé sur deezer).À cette occasion, je voudrais rappeler combien cette musique d'esprit encore très romantique quoique moderne dans l'harmonisation et la forme mélodique, me rappelle la célèbre "Vocalise" pour voix, ou violoncelle et piano de Rachmaninov (à écouter ici sur youtube) : en fait Villa-Lobos la connaissait certainement, car elle date de 1912 alors que la première Bachianas date de 1932.
Mais c'est dans les Choros (du moins le premier) que l'on retrouve la guitare appréciée des joueurs de rue auxquels cette forme fait référence. Ce choros 1, vous le connaissez certainement ; vous le trouverez ici sur youtube, et ci-dessous avec deezer.
Après le Choros 5 pour piano, surnommé Alma Brasileira (ici sur youtube et dans la colonne de droite de ce blog avec deezer) qui date de 1926, passons au Choros 10 qui date de 1925 (donc antérieur) et associe à un orchestre flamboyant (comprenant batterie, maracas, et d'autres instruments traditionnels) des choeurs jubilatoires à la fin.Villa-Lobos reprend là, tout en martelant des rythmes issus du baião et de la samba, une chanson connue des brésiliens : « Rasga o Coraçao » (approximativement « Ouvre ton coeur »1), inspirée d'une mélodie écrite en 1896 par Anacleto de Medeiros mais dont le texte fut recomposé en 1912 par Catulo da Paixão Cearense (voir celui-ci sous la vidéo sur le site en cliquant sur "plus"). Une véritable splendeur, dont je vous propose l'écoute dans une interprétation fabuleuse sur Youtube. Parmi plusieurs trouvées, celle-là vaut vraiment d'être vue en vidéo, à la fois pour apprécier tous les instruments filmés, et pour découvrir la vitalité extraordinaire qui s'en dégage, les exécutants allant jusqu'à danser en jouant ou en chantant... qui plus est, le concert est donné dans une gare, à São Paulo, pour le Nouvel An ! 2
On trouve aussi le choros 10 sur deezer, mais entier : il dure une quinzaine de minutes.(L'interprétation sur deezer ne vaut pas celle en vidéo, mais on y entend mieux certaines choses, particulièrement la note suraiguë sur laquelle terminent les sopranes : un contre-ut dièze !)La Baie de Rio, en accord avec le texte du poème chanté dans le Choros 10
1 Littéralement la chanson semble dire :
Si tu veux voir l'immensité du ciel et de la mer
Qui réfléchit les éclats de la lumière du soleil
Déchire (le voile qui recouvre) ton cœur ...
J'en profite pour exprimer mes remerciements à Marie-Claude F. (peut-être ne souhaite-t-elle pas que son nom soit publié ?) pour son aide précieuse. Née en Amérique du Sud elle a vécu de longues années au Brésil et parle couramment le portugais.
2 Je viens d'apprendre de Marie-Claude F. que la salle São Paulo est bien une salle de concert installée dans l'ancienne gare da Luz (São Paulo), et qu'elle est le siège de l'Orchestre Symphonique de São Paulo.
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Par Aloysia* le 25 Janvier 2012 à 12:00
Villa-Lobos ! Je n'en ferai pas le tour, c'est certain, tant est immense son oeuvre, et protéiforme, et luxuriante...
Visitant les sites (le plus souvent en anglais ou en portugais) et quelques pauvres écrits (finalement je ne le trouve à la médiathèque locale que dans les encyclopédies, ce qui me laisse sur ma faim !), j'apprends qu'il est considéré comme "inégal", mais que pourtant il faut compter parmi ses chefs d'oeuvre tous les chôros, toutes les bachianas brasileiras, et les quatuors, et des œuvres spécifiques comme Momo Precoce (dont je vous parlerais bien aussi ! Le petit carnaval des enfants...), Rudepoema (dédié à son interprète enthousiaste et grand ami le pianiste Arthur Rubinstein), et..., et...., et... (j'ai oublié tout ce que j'ai trouvé dans l'Universalis et le dictionnaire Larousse encyclopédique), tant et si bien que finalement que reste-t-il de "moins bon"... ?Posé comme un phare sur la musique brésilienne, précurseur en même temps que génie absolu, Villa-Lobos était un amoureux de la vie et des gens, et sa première préoccupation, après avoir été au fond de la jungle (en 1912) pour découvrir la musique indienne et tenter de faire découvrir la nôtre aux indiens (qui paraît-il ont détruit sauvagement l'appareil tant cette musique les agaçait !), et après avoir vécu longuement à Paris (de 1923 à 1930) où il a côtoyé les plus grands noms de la musique d'alors, fut d'écrire pour le peuple afin de l'amener progressivement à la musique ; puis de créer des conservatoires, des orchestres, des écoles ; et d'enseigner, et de diriger... Devenu pour le Brésil un formidable représentant, un formidable pédagogue, il écrivit à tour de bras, sans se lasser, et pour des formations de plus en plus complexes, des orchestres gigantesques associés à des chœurs délirants (voyez le chôros 10... ainsi que le formidable catalogue de ses "œuvres majeures" à cette page). Une véritable fontaine de musique !! Alors forcément, comment voulez-vous qu'il n'y ait pas des œuvres perdues (c'est le cas de la 5e symphonie, "la Paix", composée en 1920), ou des qualités diverses dans sa production ?
Depuis une bonne semaine, après Uirapuru, le Chôros 10 puis quelques bachianas brasileiras (que je n'ai pas encore toutes découvertes) je me suis laissée envoûter par le Chôros 11, dont j'aimerais ici vous parler.
Composé en 1928, c'est une gigantesque Fantaisie pour piano et orchestre : doté de trois mouvements annoncés, mais enchaînés, et constitué en fait de toute une succession d'ambiances et de thèmes abondamment développés, il dure plus de 60 minutes !
Je dis "fantaisie", parce que je pense à la Fantaisie pour piano et orchestre (1889) de Claude Debussy, et que ce n'est pas un concerto. Mais nous trouvons aussi le piano concertant dans la Symphonie sur un Chant Montagnard Français (dite "Cévenole", 1886) de Vincent d'Indy, ainsi que dans Nuits dans les Jardins d'Espagne (1915) de Manuel de Falla, et dans la Symphonie de Psaumes (avec aussi des chœurs, 1930) d'Igor Stravinsky. En fait le XXe siècle considère le piano comme un instrument faisant partie intégrante de l'orchestre, un peu dans la lignée des percussions (vibraphone, xylophone, célesta) ou de la harpe. Il apporte sa couleur, ce qui ne l'empêche pas de répondre brillamment à l'orchestre, créant ce que Tarasti (le principal commentateur de Villa-Lobos) appelle "une sorte de concerto grosso". Cet auteur ajoute d'ailleurs qu'il est amusant de constater que les œuvres les plus importantes pour piano et orchestre écrites par Villa-Lobos (selon lui le Chôros 11 et la Bachianas Brasileiras 3, que je n'ai pas encore l'heur de connaître ; mais j'y ajouterais bien "Momo Precoce" !) ne figurent pas au nombre de ses concertos pour piano.
Villa-Lobos - Rudepoema pour piano (début)
A suivre et écouter ici.Écoutons Villa-Lobos décrire lui-même ce qu'il appelle un "Chôros " :
C'est une « nouvelle forme de composition musicale dans laquelle sont synthétisées les différentes modalités de la musique brésilienne, indienne et populaire qui apparaît de temps à autre accidentellement, toujours transformée selon la personnalité de l'auteur. Les procédés harmoniques sont, eux aussi, presque une stylisation complète de l'original. Le mot "Sérénade " peut donner une idée approximative de la signification de Chôros. »
Ajoutons à cette occasion que Villa-Lobos parlait couramment le français comme bien d'autres langues, et jouait aussi de quantité d'instruments, tout comme il dirigeait magistralement... Un véritable phénomène ! Si cela vous intéresse, vous pouvez ici l'entendre parler directement de sa musique, enregistré à Paris en mai 1958 (cet enregistrement est reproduit sur un disque intitulé "Villa-Lobos par lui-même"). Vous l'entendrez dans toute sa truculence, sa générosité dans l'improvisation, son amour de la liberté dans la forme, son humour aussi.
... Ah ! oui ! En réécoutant cet enregistrement d'une conférence, je trouve à sa suite une oeuvre célèbre que vous pouvez écouter avec plaisir : "O Trenzinho do Caipira " ("le Petit Train du Paysan ", ici à partir de 9'35 pour une écoute illustrée, ou dans la colonne de droite de ce blog dans un enregistrement ancien dirigé par Villa-Lobos lui-même) qui me rappelle, en plus "brésilien" et en plus chanté le fameux "Pacific 231 " d'Arthur Honegger que je vous ai souvent vanté (là et là notamment).
... Mais revenons à notre propos, le Chôros 11 : je l'ai trouvé sur Youtube (comme beaucoup des œuvres principales de Villa-Lobos) et vous en propose l'interprétation la plus récente, une autre existant sur le même site en mono sous la baguette du compositeur lui-même. Elle est due à l'orchestre symphonique finnois sous la direction de Sakari Oramo, avec Ralf Gothoni au piano (voir ici).
Vous pourrez y apprécier la richesse de l'orchestration : on en trouve à cette page le détail, ce qui permet de déceler la présence d'un saxophone alto et d'un saxophone soprano (qui apportent par moments leur tonalité émue et troublée, en coordination notamment avec le violon alto), mais aussi d'une quantité incroyable de percussions (xylophone, célesta, cloches...) notamment populaires (tambourins, maracas...) et d'instruments rares comme la clarinette basse et le contrebasson. Messiaen, qui par la suite a aimé aussi le gigantisme orchestral et la profusion des sonorités, avec souvent le piano inclus dans l'orchestre, a salué en lui "l'orchestrateur le plus génial de notre siècle".
Si vous avez le courage de tout écouter, vous remarquerez qu'il s'agit d'une succession de mouvements rythmiques et de mouvements plus doux et nostalgiques dont certains sont absolument superbes : le premier à 2'30, qui après une accélération débouche sur un second, vers 4'20, qui m'intrigue bien car très chromatique il évoque le nom de "BACH" (B - A - C - H sont pour les allemands et les anglais nos notes si bémol, la, do, et si bécarre) - mais un ton au-dessus : une allusion ?? (Villa-Lobos admirait Bach par-dessus tout !).
Un nouvel élargissement conduit vers 6'40 à un passage encore plus beau, tout frémissant comme des ailes d'oiseau au couchant... Et après une nouvelle transition, c'est à 9'30 le passage le plus bouleversant, avec le saxophone alto si troublant, sur un thème qui pique à la fin dans un glissando descendant.
Nous voici alors plongés dans l'âme brésilienne, et à cet attendrissement succède une joyeuse petite musique richement orchestrée et rythmée. On ne peut que s'extasier de la richesse créative de Villa-Lobos, qui hors des formes classiques réussit à nous tenir ainsi en haleine, sans défaillir, sans faire de remplissage ni de vains développements thématiques ! Vers 14'58, un solo de contrebasson... Original ! C'est un peu l'ambiance du "jazz" que nous retrouvons là (Villa-Lobos avait beaucoup pratiqué l'improvisation de rue, comme on le fait au jazz) : un instrument inhabituel se fait entendre seul, puis l'ensemble de l'orchestre semble l'applaudir et fait "chorus"...
Ce premier mouvement haut en couleurs s'achève en atmosphères successives plus brillantes et vives, afin de préparer le second, en principe plus "contemplatif". L'arrivée en est préparée à la 20e minute, avec un arrêt sur un accord aussi énigmatique que coloré.
Ce second mouvement est rempli de poésie et de charme, et j'espère que la plupart d'entre vous pourront l'apprécier pleinement !
Après un développement tranquille puis plus passionné du thème initial, apparaît vers la 2e minute un thème plus joyeux, suivi d'un épisode rêveur qui ramène le thème premier. Ces deux thèmes s'entrelacent jusqu'à une amplification somptueuse du principal, qui clôt ce premier volet.
Suit alors la reprise du thème au saxophone... moment d'émotion intense ! Ensuite c'est le piano qui apparaît, chantant avec des accents syncopés comme dans les plus tendres des mélodies brésiliennes. À chaque fois, des guirlandes, des amplifications, permettent de faire les transitions, mais d'un bout à l'autre de ce mouvement, ce ne sont en fait que des variations sur le même thème. Enfin une magnifique péroraison du piano, qui rappelle un peu la "cadence" des concertos classiques, aboutit, sur des harmonies superbes, à un merveilleux solo de violoncelle (on ne peut s'empêcher de penser au second concerto pour piano de Brahms...!), et c'est la flûte un peu "jazzy" qui clôt ce mouvement dans une douceur délicieuse.
Après ce moment d'intense méditation, le troisième mouvement s'ouvre sur des quintes rappelant un peu l'orchestre qui s'accorde puis, les instruments se succédant dans une sorte de contrepoint pour animer peu à peu l'atmosphère, il débouche sur une célébration pleine de joie de vivre et d'optimisme.
Quand le piano apparaît, c'est pour frapper avec gaieté un thème formidablement dansant... suivi bientôt par le thème en quintes et octaves du début.
Cependant, ce mouvement, le plus long des trois, évolue lui aussi progressivement comme une sorte de longue improvisation, et à la 8e minute apparaît un autre thème sur un rythme de habanera, avec des petites percussions locales. A partir de 9'30 un nouveau thème, plus ample et d'aspect un peu dramatique commence à se développer, menant à un vaste déploiement orchestral, sur les notes de cet accord que l'on appelle un triton et qui apporte dans son instante répétition un sentiment de suffocation, car il exige sa résolution, intensément attendue ... !
Celle-ci finit par venir, et vers 14'10 on retrouve une danse pleine d'insouciance ; mais il reviendra, épisodiquement, coupé par des épisodes plus ou moins figuratifs, qui rappellent un peu le ballet Uirapuru que nous avions découvert ici.
C'est un thème encore différent qui achève ce chôros dans une profusion d'harmonies et de sonorités toutes plus superbes les unes que les autres.
On en sort abasourdi, heureux, régénéré, et avec de la musique plein la tête tellement qu'on ne rêve plus que de réécouter cette oeuvre ! C'est du moins mon cas... On pense un peu au Carnaval de Rio tel qu'il est évoqué dans le film Orfeo Negro : avec de la musique plein les rues, et des airs qui changent sans cesse, se succèdent et se superposent.
À force d'écouter Villa-Lobos, je dois dire maintenant que, malgré les bémols apportés par certains sur sa production prétendue "inégale", je lui trouve une sacrée personnalité ! Je ne jurerais pas que je le reconnaîtrais à l'aveuglette, mais je sens chez lui une originalité très forte, que je ne saurais comparer à aucun autre compositeur de sa génération... sinon partiellement 1.
Et vous ? Qu'en pensez-vous ?
1 A la fin du premier mouvement, on pense à Petrouchka de Stravinsky ; et au début du 3e mouvement, on pense au démarrage du 3e mouvement du concerto en sol de Ravel, qui faisait suite lui aussi à un merveilleux solo de cor anglais. Mais comme je le disais, les comparaisons sont fragmentaires ! Ensuite, cela change !
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Par Aloysia* le 27 Janvier 2012 à 12:00
Comme je vous l'annonçais par cet article puis celui-ci, un week-end a été consacré à Toulouse il y a deux semaines à cet instrument méconnu, qui y fit sa réappararition grâce notamment à Jean-Christophe Maillard.Ce dernier nous en offre un aperçu grâce à la mise en ligne sur youtube d'un extrait de son concert, donné à l'auditorium de Saint-Pierre des Cuisines le samedi 14 janvier dernier à 18h.
Il s'agit de la sonate op.72 n°4 de Joseph Bodin de Boismortier pour musette baroque et basse continue, qu'il interprète avec le concours de Juliette Vittu, violoncelle, et Tania Dovgal, clavecin.
Qui dira que la musette "n'est jamais qu'une sorte de cornemuse" ?? (Réflexion d'un présentateur de France Musique que je ne nommerai pas...) Écoutez ce chromatisme, ces modulations, cette étendue en tessiture... sans parler de la qualité du son ! Non, la musette telle qu'elle était utilisée au XVIIIe siècle est un instrument à part entière, d'une complexité et d'une finition analogues à celles de la flûte ou du hautbois.1Pour apprécier pleinement les détails, affichez la vidéo en grand écran, et observez bien l'instrument quand le vidéaste zoome : vous verrez à côté du chalumeau d'ivoire principal (dit "Grand chalumeau") un plus petit qui permet le chromatisme (voir ici) ; il est important à cette occasion de préciser que comme la flûte, le hautbois ou la clarinette, la musette de cour est pourvue de clefs métalliques permettant d'affiner les possibilités mélodiques. Ajoutons enfin qu'étant en réalité une simple descendante du hautbois (comme le rappelle le célèbre chant de Noël "Jouez hautbois, résonnez musettes"), chacun de ses chalumeaux et bourdons est muni d'une anche double identique à celle des hautbois.
En cliquant sur l'image ci-dessous, vous accédez à un site anglais riche en photographies commentées, et qui permet notamment de voir comment l'interprète se ceint d'une lanière de cuir lui permettant d'actionner du coude droit un soufflet qui fait pénétrer l'air dans la poche de l'instrument qu'il tient sur sa gauche...
1 Note : à cette occasion j'ai plaisir à vous citer la remarque de Jean-Christophe Maillard lui-même, qui exprime parfaitement ma propre pensée, quant à l'évolution de TOUS les instruments.
« Le speaker a bien raison quand il dit que la musette est une sorte de cornemuse, d'autres l'ont dit avant lui en s'imaginant que c'était une insulte ! Dans le même ordre d'idée, on peut dire : "la flûte n'est rien d'autre qu'une sorte de pipeau", ou si on veut être plus précis avec la traversière "c'est une sorte de fifre" (il y en avait de différentes tailles à la Renaissance) ; ou bien : "le hautbois c'est une sorte de chalumeau", ou encore "l'orgue n'est qu'une série de sifflets et de klaxons", ce qui est strictement exact ! Voire : "l'orgue ce n'est qu'une sorte de cornemuse" puisqu'il fonctionne avec plusieurs tuyaux et une réserve d'air !!
Donc, ce qui est bizarre c'est la restriction "jamais qu'une sorte de..." qui semble péjorative. Dans un livre très sérieux sur le hautbois baroque on écrit qu'elle n'est après tout "rien d'autre qu'une cornemuse améliorée..." citation que j'ai mise au pinacle de mon bêtisier, pièce d'anthologie de la suffisance et de l'ethnocentrisme (ici, ethnocentrisme "de classe" diraient les socio-anthropologues).
On va mettre à ces esprits forts une "vulgaire" cornemuse entre les mains et on va s'amuser ! ...
Heureusement, David Christophel était là pour répondre à ce "candide"... qui peut-être faisait exprès "l'imbécile"... ? »
Il suffirait donc qu'un compositeur hardi, comme certains ont déjà tenté de le faire avec le saxophone (si je ne me trompe Bizet, Milhaud, et Villa-Lobos), ou d'autres avec le vibraphone (Messiaen), voire l'accordéon, l'harmonica, la guitare (des concertos existent pour tous ces instruments) mette la musette à l'honneur dans l'orchestre en l'insérant dans une oeuvre classique actuelle ! On changerait alors d'idée à son sujet et l'intégrerait peu à peu au cursus des Conservatoires...
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