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         En 2009, sur mon précédent blog, j'avais écrit un article que j'ai rapatrié  ici dans la section "livres", sur le bel ouvrage consacré par Pierre Lassalle et quelques artistes de son entourage aux Mystères de la Dame à la Licorne.

     

    La Dame à la Licorne - Tapisserie "A mon seul Désir"

     

         Ce livre avait de quoi interpeller, voire déconcerter, étant une prise de position personnelle de la part d'un instructeur spirituel qui y voyait tout simplement les étapes d'un cheminement initiatique inspiré du soufisme.

         Pour développer sa pensée il avait donc demandé à deux femmes de son entourage, Joëlle Richardière et Sophie Graverand, artistes peintres, de reprendre sous sa direction chaque tapisserie pour en exprimer plus clairement le message à l'adresse du spectateur du XXIe siècle ; et Céline Divoor, sa compagne devenue depuis son épouse, y avait ajouté chaque fois un poème.

         Il lui semblait en effet évident que si les cinq premiers tableaux évoquaient chacun l'un de nos sens (la vue, l'ouïe, le toucher, l'odorat, le goût) tandis que le 6e s'intitulait "à mon seul désir", c'était qu'il s'agissait pour cette femme symbolisant l'âme en quête de sa nature réelle, de s'affranchir de tous les désirs terrestres pour ensuite s'offrir dans un total dépouillement à Celui qui l'attend : le Bien-Aimé Divin. C'est pourquoi dans la 6e tapisserie elle se libère de son collier, dernier symbole d'attachement, non plus en le confiant à un petit coffret comme dans la tapisserie initiale, mais en le jetant dans le feu de l'athanor alchimique. 

        Je viens de découvrir que Céline Divoor-Lassalle s'était enregistrée lisant son poème dans une vidéo postée sur youtube ; et celui-ci, qui n'avait guère retenu mon attention à première lecture, m'apparaît sous cette forme particulièrement touchant. C'est pourquoi je vous le propose, en vous livrant également le texte mais en vous exhortant vivement à le découvrir par sa voix, avec les images du tableau correspondant.

           Le lion furieux représente l'ego qui cherche à ressaisir sa proie. La Licorne est une image du Maître intérieur dont l’œil rempli de douceur invite l'âme à Le refléter de plus en plus. Quant au "péché", c'est un terme qui évoque l'attachement au corps : en effet le péché originel proprement dit correspond bien au moment où Adam et Ève "virent qu'ils étaient nus" et "se vêtirent de peaux de bêtes".

     

     

     

    Aujourd'hui il ne me reste que lui
    Mon seul Désir.


    La flamme en mon cœur se fait reine,
    Transformant mes passions et mes peines,
    Par la grâce d'une persévérance appliquée,
    Sanctifiant mon être vers Toi retourné.


    Le lion furieux rugit très fort cependant,
    Coléreux, le diable au corps bien souvent,
    Réclamant mon attention de lui détournée,
    Toujours prêt à me tenter par quelque rêve ou méfait.


    Mais Amour et Foi en Toi me glorifiant,
    Je m'ouvre et me fie à l’œil qui jamais ne ment ;
    Et par les Merveilles ainsi sagement dévoilées,
    J'imagine les bienfaits de choisir la Pureté.


    Ce que Tu es m'élève,
    Ce que Tu veux m'appelle ;
    Je te réponds sans trêve
    Par un vœu sans appel :


    Puisse l'Esprit de Vérité
    Descendre en moi et se révéler,
    Afin que de la racine du péché
    Je sois à tout jamais libérée.


    Aujourd'hui il ne me reste que lui
    Mon seul Désir.

     

    Céline Divoor-Lassalle

     

          Pour Pierre Lassalle, cette tapisserie était à l'origine suivie de deux autres représentant les étapes ultimes de la Réalisation. Il se propose donc de les reconstituer, offrant pour la septième une Dame inspirée dont le lion devenu blanc est totalement dompté, et pour la dernière une Dame illuminée, assise sur un trône entre deux licornes apparemment semblables mais dont l'une est mâle et l'autre femelle.

     

    La Dame à la Licorne-Pierre Lassalle-La Dame Illuminée

    Huitième et dernier tableau, extrait du livre "Les Mystères de la Dame à la Licorne"

     

     


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            Je viens de découvrir un livre merveilleux : Le Cantique des Oiseaux de Farîd od-dîn 'Attâr traduit du persan par Leili Anvar.

     


    Le Cantique des Oiseaux - Attar


     

          Intitulée précédemment par divers traducteurs "La Conférence des Oiseaux" ou "Le Langage des Oiseaux", cette oeuvre majestueuse est une sorte d'exposé poétique de la voie qui mène à la réalisation du Divin en soi.

       C'est pourquoi Leili Anvar, spécialiste de la littérature persane et particulièrement sensible à ses aspects initiatiques, a tenu à lui apporter un titre français qui rappelle à la fois le "Cantique des Cantiques"  de l'Ancien Testament, et le "Cantique des Créatures" de Saint-François d'Assise.

          Ayant fait l'objet d'une édition superbement illustrée, le livre est édité dans un très large format qui met en valeur les 4726 distiques qui composent l'ensemble. La série illustrée de l'ouvrage est malheureusement épuisée, mais vous pouvez en voir la présentation ici dans une vidéo d'une dizaine de minutes extraite d'une émission télévisée, ainsi que sur le site de l'éditeur où les miniatures persanes restent consultables.

         Farîd  od-dîn 'Attâr, poète mystique du XIIe siècle rattaché au soufisme, exprime dans une ode que Leili Anvar énonce à l'occasion d'une conférence (ici) combien il est difficile même à un poète de révéler la puissance de l'amour qui le rattache au Divin, et affirme que pour ce faire, seule conviendrait "la langue des oiseaux".

       C'est la raison pour laquelle il choisira celle-ci pour cette composition magnifique dont je découvre peu à peu les beautés. Avant d'entrer dans le vif de son sujet, un peu à la manière d'Homère qui faisait précéder ses épopées d'une Invocation à la Muse, il s'adresse à Dieu dans le Prologue dont voici un extrait : 

     

    Ô Toi mon Créateur, depuis que je chemine
    J'ai mangé de Ton pain dans Ta Voie, sur Ta nappe

    Et lorsqu'avec quelqu'un on partage le pain
    On est reconnaissant de ce que l'on reçoit

    Alors que dire de Toi, océan de bontés ?
    J'ai tant mangé Ton pain, j'en suis reconnaissant

    Ô Toi, Seigneur des mondes, je ne sais plus que faire
    Tout couvert de mon sang, je rame dans le désert

    Prends-moi par la main, oui, et viens à mon secours
    Ne me laisse pas seul, suppliant comme une mouche

    Toi, pardon des péchés, excuse de mes fautes
    J'ai cent fois brûlé et Tu veux me consumer ?

    J'ai honte devant Toi et tout mon sang bouillonne
    J'ai commis tant de vilenies ! Toi, couvre-les !

    Et dans ma négligence, moi j'ai cent fois péché
    Alors que Toi, Tu m'as couvert de tes bontés

    Jette un regard sur moi, ô Toi qui es mon Roi
    Si Tu as vu en moi le mal, c'est du passé

    C'est par pure négligence que j'ai commis des fautes
    Pardonne mon coeur lourd et mon âme affligée

    Même lorsque mes yeux ne semblent pas pleurer
    Dans le désir de Toi, mon âme est tout en pleurs

    Tout le bien et le mal que j'ai pu faire, Seigneur
    Oui, tout ce que j'ai fait, je l'ai fait à moi-même

    Pardonne mes faiblesses, dans toute leur bassesse
    Absous mes manquements qui sont mon déshonneur !

     

       On est étourdi de l'éloquence du poète dont la parole semble fuser sans aucun frein, d'une manière souvent touchante et presque puérile, mais également impressionné du talent de la traductrice qui, tout en cherchant à rendre au mieux les sonorités, les jeux de mots et les allusions exprimées en persan, a réussi de plus à insuffler à ces distiques le rythme des alexandrins.

     

    La Conférence des oiseaux par Habib Allah

     

     (à suivre ici)

     


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            Voici un nouveau poème de Kabîr, qui vécut en Inde au XVe siècle.



    Kabîr

     

       Notes : Aucun poème de Kabîr ne porte de titre, c'est moi qui en ai imaginé un pour cet article. De même les paragraphes sont de mon fait. 

     

     

        Reçois le Mot d'où a jailli l'Univers !
        Ce mot est : Maître ; je l'ai entendu et je suis devenu disciple.
        Combien sont-ils, ceux qui ont compris ce mot ?

        Ô Saint exerce-toi à le comprendre.
        Les Védas et les Puranas le proclament.
        Le monde est établi en lui.
        Les Richis et les dévots en parlent. Mais nul ne connaît Son mystère.
        Le chef de famille quitte sa maison quand il l'entend.
        L'ascète revient à l'amour quand il l'entend.
        Les six philosophies le commentent.
        L'Esprit de renonciation émane de lui.
        De ce Mot le monde des formes est né.
        Ce Mot révèle tout.

        - Kabîr dit : « Mais qui sait d'où vient ce Mot ? »


    Kabîr, Poème LVII
    Transcrit par Rabindranath Tagore
    puis traduit de l’anglais par Henriette Mirabaud-Thorens

     

     

    Nébuleuse Helix - photo Martin Casier

         

       


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  •      Voici une petite histoire parmi les nombreuses racontées par Attâr dans "Le Cantique des Oiseaux" (voir mon précédent article) rapporté par Leili Anvar. Elle l'intitule "le chien ingrat".

         Si l'on y regarde de près elle ressemble à la parabole de l'Enfant Prodigue (voir ici), mais avec une attitude totalement opposée de la part du Roi - qui dans l'Évangile est le Père.

        La différence semble aisée à comprendre : Attâr situe l'épisode au moment où le chien s'échappe ; le Maître ne fait que consentir à son départ et leur relation est donc naturellement rompue. Jésus situe le sien au moment où le fugitif comprend qu'il est le Fils, et donc que son Père l'aimait. Aussi retrouve-t-il naturellement sa place.

         Notes : il s'agit en principe de distiques mais parfois un vers se détache seul. J'ai respecté la disposition du livre, y compris comme dans le précédent article pour l'absence occasionnelle de ponctuation.

     

    Toutankhamon chassant - image tirée du site en lien.

     

    Un roi qui désirait un jour aller chasser
    Ordonna : « Qu'on m'apporte mon lévrier royal ! »

    C'était un chien spécial, en tous points bien dressé 
    Il portait un manteau de soie et de brocard

    Un collier constellé de pierres ornait son cou

    Et un bracelet d'or chacune de ses pattes 
    Sa laisse était tissée d'une soie délicate

    Le roi qui le croyait sage et intelligent
    Prit la laisse et le chien de le suivre en courant

    Mais soudain l'animal s'arrêta en chemin

    Parce qu'il avait vu un tas d'os dans un coin
    Et constatant cela, le roi fut pris de rage

    Une rage jalouse dont les flammes tombèrent
    Sur le malheureux chien qui avait dévié

    Il dit : « Mais comment donc, auprès de moi, le roi
    Peut-on voir autre chose et regarder  ailleurs ? »

    Et déchirant la laisse : « Laissez-le donc partir
    Ordonna-t-il, car il est indigne de nous. »

    Il eût bien mieux valu pour lui qu'il avalât
    Des aiguilles par milliers que de perdre sa laisse

    Mais le gardien des chiens fit remarquer au roi :
    « Tout le corps de ce chien est couvert d'ornements

    Et s'il mérite, sans doute, d'errer dans le désert
    L'or, la soie et les pierres pourraient me revenir ! »

    Et le roi répondit : « Non, laisse-le ainsi
    Et ne désire pas l'or qu'il porte sur lui

    Dans quelque temps peut-être, il reviendra à lui
    Et quand il se verra si richement paré

    Ce chien se souviendra qu'il avait un ami
    Que d'un roi tel que moi, le voilà séparé. »

     

          On se souvient de ces lévriers asiatiques dressés autrefois pour la chasse à la gazelle (voir l'article ici). La vision de cet animal choyé et couvert d'or qui se rue sur un tas d'os pour satisfaire ses instincts primaires nous renvoie cruellement à notre propre propension à satisfaire nos tentations égoïstes au lieu de nous souvenir de notre divine appartenance.

        Mais la réponse du Monarque est pleine de mansuétude et rappelle finalement bien la parabole racontée par Jésus : en effet, il accepte simplement la fugue de son protégé, et semble garder totalement confiance dans le fait que tôt ou tard, celui-ci se souviendra de lui...

       Pour commenter cette petite histoire, comme il le fait à chaque fois, Attâr poursuit sa réflexion sur quelques distiques que voici.

     

    Ô toi qui au départ fus proche de l'Ami
    Mais qui t'es séparé de par ta négligence

    Pose pleinement le pied dans l'Amour véritable
    Et comme les vrais hommes, bois avec le dragon

    Oui, jouer avec Lui, c'est jouer à tout perdre
    Car le prix à payer en amour, c'est la tête

    Dans l'âme et dans le cœur, ce qui tourne la tête
    Fait paraître un dragon petit comme la fourmi

    Les amants, sache-le, et quel que soit leur nombre
    En amour ont toujours soif de leur propre sang.


    Cantique des Oiseaux, Farîd od-dîn Attâr
    traduit par Leili Anvar, v. 2278 à 2299

     

        Ces commentaires ramènent à la vision mystique de la Voie, et font de Celui qui était au départ un Maître et qui pour le Christ sera le Père, un Ami, au sens fort, l'incarnation même de l'Amour avec son corollaire : la mort.

         On se souviendra de la légende de Psyché qui, pour rencontrer Éros (l'Amour), dut s'offrir en pâture à un Dragon ! C'est du même dragon qu'il s'agit ici, celui qui vous dévore et vous détruit, car en Amour seul l'Un prévaut.

       Mais pour le véritable "amant" cela n'est rien ; armé d'un courage sans égal il l'acceptera sans crainte, affirme Attâr, n'y voyant plus qu'une "fourmi"  ...  et boira de cette coupe dont Jésus disait " Père, s'il est possible, qu'elle me soit épargnée...".

     

    Trou noir

     

     (Nouvel article concernant le Cantique des Oiseaux ici)

     


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    Fleuves d'ondes près de Saint-Valentin (Indre)

     

     

     

    Qui suis-je ?

     

    Où suis-je ?

     

     

     


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