Puisque je suis dans mes anciens poèmes, en voici un de ma période "symboliste".
Après l'étude poussée de l'alexandrin et la lecture abondante de Racine, Hugo, Musset ou Edmond Rostand, qui m'avaient rendue si experte en l'art des rythmes et des rimes que j'en écrivais des pages et des pages sans effort, je participai à un concours de poésie où je ne fus pas retenue, et où le vainqueur écrivait "moderne"! Cela me fit réfléchir, et je commençai à m'intéresser au vers libre.
Cependant l'inspiration est ici plutôt Verlainienne : il y a même un vers qui rappelle Maeterlinck dans Pelléas et Mélisande... (Acte 2, la Fontaine des aveugles : "elle est fraîche comme l'hiver").
J'ai écrit ce poème tout d'un trait, presque sans réfléchir, en 68 ou 69, et il est publié avec mon premier (et seul) recueil édité, dans la partie préliminaire intitulée "Pour Survivre". En effet, à l'adolescence j'étais très, très triste...
Pleurez oiseaux bleus du printemps
Pleurez oiseaux verts de l’automne
La pluie triste et douce chantonne
En larmes chaudes sur l’étang
Calmes soirées sous les averses
Bleuités troubles du ciel gris
Où tremblent des rayons épris
De feuilles vertes qu’ils transpercent
Larmes de vent larmes du cœur
Larmes d’espace où l’or ruisselle
Larmes aux sourdes étincelles
De désespoir et de douleur
O douce voix qui t’es brisée
Dans le sous-bois un soir d’hiver
Quand l’oiseau mort sous le couvert
Perdait ses plumes irisées
O blanches gouttes sur ton front
Qui était ceint de la couronne
Et de ta gloire qui rayonne
Et de te cheveux plus que blonds
O larmes bleues sur tes joues pâles
O spectre du passé qui meurt
O nuits mortelles de terreur
Qui déchirent nos blancs pétales
A présent c’est la pluie qui vient
La pluie qui règne enveloppante
Qui nous transit et nous enchante
Et nous endort et nous retient
Elle est fraîche comme un sourire
Elle est froide comme la mort
Elle résiste à notre effort
Et nous soumet à son empire
Nous ne sommes plus que du froid
Où dégouline un peu de lierre
Nous sommes pareils à la pierre
Qui reçoit la pluie sans émoi
Ce sont larmes si tristes douces
Larmes vertes et bleues sans fin
Que l’on croirait voir le matin
Se fondre au soir parmi les mousses
Ce sont pleurs si mystérieux
Coulant sur les fleurs en silence
Que l’on dirait que le ciel pense
Au-delà des arcs radieux
Et quand l’averse recommence
Un chagrin si bouleversant
Que la rosée en se berçant
Glisse à terre en pleurs d’impuissance
Une tendresse se répand
Une épouvantable tristesse
- Alors un navire en détresse
S’enfonce dans les flots mouvants
Sombre se noie perd sa couleur
S’efface et se confond aux ondes
Disparaît dans les marées blondes
Et n’est plus qu’obscure douleur
Extrait de "Pour Survivre"
in "Le Rossignol d'Argent"
© les éditions Saint-Germain-des-Prés, 1974