• Berlioz, les Troyens (fin)

     
             Voici la seconde et dernière partie de cette évocation de l'Enéide par Berlioz, dans son Opéra "Les Troyens".
               Le Ve et dernier acte voit la mort de Didon, qui dans un ultime pressentiment prédit que son futur vengeur, Hannibal, sera écrasé par les descendants d'Enée, les Romains.
               J'en ferai moins de commentaires, si ce n'est pour dire que l'épisode est beaucoup plus long que chez Purcell, et ici encore le plus proche possible de l'esprit de Virgile.

             Malgré le désespoir d'Enée qui lui affirme qu'il l'aime et qu'il part malgré lui, poussé par des avertissements divins de plus en plus pressants, Didon ne peut accepter cet abandon et sent au fond d'elle-même qu'elle ne lui survivra pas. Devant l'inquiétude de sa soeur Anna, elle prétend vouloir offrir un sacrifice aux divinités des morts afin d'obtenir l'oubli du Troyen, en jetant dans un bûcher tous les souvenirs qui lui restent de lui.

                Tandis que celle-ci s'éloigne pour les préparatifs, elle exprime sa résolution et fait ses adieux à la ville qu'elle a construite, dans un air plein d'émotion où reparaissent les thèmes de son duo d'amour de l'acte précédent ("nuit d'ivresse et d'extase infinie").
             Pour apporter un peu de vie à cette évocation j'en ai cherché la vidéo sur Youtube ; mais le choix me laisse perplexe. En effet il en est une excellente interprétation par Régine Crespin : mais il s'agit d'un vieil enregistrement et il n'y a pas d'image ; de plus des sous-titres affichent la traduction en anglais. J'en profite pour ajouter comme il est sidérant de remarquer à quel point Berlioz est aimé des anglais, beaucoup plus que de nous français et que, bien évidemment, des allemands (qui ont d'autres grands romantiques).
                   On trouve une autre interprétation apparemment excellente et scénique par Dame Janet Baker, mais elle est chantée intégralement en anglais. Par ailleurs, de nombreux extraits des Troyens apparaissent également publiés en Russe (quoique chantés en français ?), mais j'avoue que je ne m'y retrouve pas très bien.
                     Il me reste donc celle
    de Waltraud Meier  ; j'avoue qu'elle n'est pas si mauvaise, comparée à la version que je possède avec Joséphine Veasey en Didon et Colin Davis à la baguette. Je regrette qu’il s’agisse apparemment d’un concert, mais il y a cependant un semblant de décor.
     
           Voici donc le texte de cette scène (directement inspiré du passage correspondant de Virgile) :
     
    Ah !
    Je vais mourir...
    Dans ma douleur immense submergée
    Et mourir non vengée !...
    Mourons pourtant ! oui, puisse-t-il frémir
    A la lueur lointaine de la flamme de mon bûcher !
    S’il reste dans son âme quelque chose d’humain,
    Peut-être il pleurera sur mon affreux destin.
    Lui, me pleurer !...
    Énée !... Énée !...
    Oh ! mon âme te suit,
    A son amour enchaînée,
    Esclave, elle l’emporte en l’éternelle nuit...
    Vénus ! rends-moi ton fils !... Inutile prière
    D’un cœur qui se déchire... A la mort tout entière
    Didon n’attend plus rien que de la mort.

     


     
     
    Adieu, fière cité, qu’un généreux effort
    Si promptement éleva florissante ;
    Ma tendre sœur qui me suivis errante,
    Adieu, mon peuple, adieu ; adieu, rivage vénéré,
    Toi qui jadis m’accueillis suppliante ;
    Adieu, beau ciel d’Afrique, astres que j’admirai
    Aux nuits d’ivresse et d’extase infinie ;
    Je ne vous verrai plus, ma carrière est finie !...

     
     
         Là-dessus, entrent les prêtres chargés du sacrifice, qui allument un bûcher au son d'une lente et triste mélopée. Et ce n'est qu'ensuite, à la stupéfaction impuissante de tous, que Didon se donnera la mort. Une autre vidéo en est disponible avec Tatiana Troyanos, dont le nom est prédestiné certes mais que je n'apprécie pas beaucoup car je ne vois aucun réalisme dans son jeu.
         En effet les assistants ne doivent pas deviner qu'elle va se poignarder, or elle reste un temps interminable l'épée brandie (il est vrai qu'elle est sensée jeter au feu cette épée qui a appartenu à Enée) ; puis, une fois blessée à mort, elle doit pousser trois gémissements (qui sont écrits dans le texte poignant de Virgile (Enéide IV, 690-692 :
    «Trois fois elle s'est redressée et appuyée sur son coude, et trois fois elle est retombée ; de ses yeux errants elle a cherché la lumière du ciel et a gémi de l'avoir retrouvée ») : mais sur cette vidéo, on la voit se relever progressivement en poussant des "ah !" de plus en plus puissants, afin de proférer ses dernières paroles debout ! Mieux vaut imaginer la scène en l'écoutant seulement dans mon enregistrement avec Joséphine Veasey. En voici les paroles (notez que "Narbal" est le capitaine des gardes, dévoué à la reine) :



    Enregistrement déjà cité précédemment.

     

    DIDON (parlant comme en songe)

     Pluton... semble m’être propice...
    En ce cruel instant... Narbal... ma sœur
    C’en est fait... achevons le pieux sacrifice...
    Je sens rentrer le calme... dans mon cœur.

     

     (Deux prêtres portant le premier autel s’avancent de gauche à droite, deux autres portant le second s’avancent de droite à gauche et font en se croisant ainsi le tour du bûcher. Didon, le pied gauche nu, les cheveux épars, après avoir déposé sur l’un des autels sa couronne de feuillage, le suit d’un pas saccadé. Pendant ce mouvement processionnel, Anna est à genoux à droite de la scène et Narbal à gauche. Entre eux le grand-prêtre de Pluton, debout, étend, en la tenant des deux mains, la fourche plutonique vers le bûcher. Enfin, saisi d’une énergie convulsive, Didon monte d’un pas rapide les degrés du bûcher. Parvenue au sommet, elle saisit la toge d’Énée, détache le voile brodé d’or qui couvre sa tête, et les jetant l’une et l’autre sur le bûcher, elle dit:)


     D’un malheureux amour, funestes gages,
    Dans la flamme emportez avec vous mes chagrins !

     (Elle considère les armes d’Énée.)

     Ah !

     (Elle se prosterne sur le lit, qu’elle embrasse avec des sanglots convulsifs. Elle se relève et prenant l’épée elle dit d’un ton prophétique :)


     
    Mon souvenir vivra parmi les âges.
    Mon peuple accomplira d’héroïques destins.
    Un jour sur la terre africaine,
    Il naîtra de ma cendre un glorieux vengeur...
    J’entends déjà tonner son nom vainqueur.
    Hannibal ! Hannibal ! d’orgueil mon âme est pleine !
    Plus de souvenirs amers !
    C’est ainsi qu’il convient de descendre aux enfers.


     (Elle tire l’épée du fourreau, se frappe et tombe sur le lit.)

     TOUS

     Ah ! au secours ! au secours ! la reine s’est frappée !

     (Narbal sort comme pour aller chercher du secours.)

     CHŒUR (derrière la scène et accourant)

     Quels cris ! ah ! dans son sang trempée
    La reine meurt !

     (Narbal rentre, le grand chœur entre en scène.)

     Est-il vrai ? jour d’horreur ! malheur !

     DIDON (se relevant appuyée sur son coude)

     Ah !

     (Elle retombe.)

     ANNA (sur le bûcher)

     Ma sœur !

     (Didon se relève.)

     DIDON

     Ah !...

     (Elle lève les yeux au ciel et retombe gémissant.)

     ANNA

     C’est moi,
    C’est ta sœur qui t’appelle...!

     DIDON (se relevant à demi)

     Ah ! Des destins ennemis... implacable fureur...
    Carthage périra !!


     
    On voit dans une gloire lointaine le Capitole romain au fronton duquel brille ce mot : ROMA. Devant le Capitole défilent des légions et un empereur entouré d’une cour de poètes et d’artistes. Pendant cette apothéose, invisible aux Carthaginois, on entend au loin la Marche troyenne transmise aux Romains par la tradition et devenue leur chant de triomphe.

     DIDON

     Rome... Rome... immortelle !


     
    (Elle retombe, et meurt. Anna tombe évanouie à côté d’elle. Le peuple de Carthage, s’avançant vers l’avant-scène et tournant le dos au bûcher, lance son imprécation, premier cri de guerre punique, contrastant par sa fureur avec la solennité de la Marche triomphale.)

     

            Le rideau tombe sur la glorification de Rome au son de cette marche un peu convenue, et que j'ai coupée.

     

    Enée et Didon - Guérin

    Enée et Didon, par Guérin (1815)

     

     

     

     
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  • Commentaires

    1
    Lundi 22 Février 2010 à 12:00
    Belle interprétation. Parfois quelques coups de glotte mais cela tient sans doute à l'époque et à la technique qui y était attachée. Belle fin d'opéra aussi où je retrouve dans le début cette symbolique utilisée par Monteverdi pour la mort d'Ariane ( mouvements chromatiques descendants) Merci de cette page qui complète magnifiquement la mienne...


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