•    Me revient aujourd'hui cette fin sublime du chef d'oeuvre de Romain Rolland, Jean-Christophe.
          C'est en simple lectrice naïve que je l'ai découverte dans la bibliothèque de mes parents à l'adolescence, horrifiée par la lecture du "Buisson Ardent" dont je ne comprenais pas le détournement : comment ce feu qui ne brûle pas, témoin de la Présence de Dieu, peut-il devenir dans ce livre l'incendie ravageur de la passion humaine ? 

     

          La fin par contre me plaisait beaucoup. Moi qui ai baigné dans la musique toute ma vie et partiellement aussi dans la culture allemande, ce musicien dont la fin résonne en écho du puissant poème symphonique de Richard Strauss Mort et Transfiguration, me ressemblait comme un frère - d'autant plus qu'il portait le prénom de mon véritable frère ! (mes parents n'avaient-ils pas eu une petite idée en tête ?)

        On comprendra d'autant mieux si l'on sait que, de même que Romain Rolland et Richard Strauss étaient les meilleurs amis, de même, ils étaient tout deux marqués par leur rencontre avec les philosophies de l'Inde, et notamment l'enseignement de Ramakrishna et de Vivekananda. Romain Rolland avait par ailleurs contribué à faire connaître Gandhi par une publication le concernant en 1924 (voir Wikipedia).

     

    *  *  *  

     

    StChristophe par Lucas Cranach

      

         Saint Christophe a traversé le fleuve. Toute la nuit, il a marché contre le courant. Comme un rocher, son corps aux membres athlétiques émerge au-dessus des eaux. Sur son épaule gauche est l’Enfant, frêle et lourd. Saint Christophe s’appuie sur un pin arraché, qui ploie. Son échine aussi ploie. Ceux qui l’ont vu partir ont dit qu’il n’arriverait point. Et l’ont suivi longtemps leurs railleries et leurs rires. Puis, la nuit est tombée, et ils se sont lassés. À présent, Christophe est trop loin pour que les cris l’atteignent de ceux restés là-bas. Dans le bruit du torrent, il n’entend que la voix tranquille de l’Enfant, qui tient de son petit poing une mèche crépue sur le front du géant, et qui répète :

        « Marche ! »

         – Il marche, le dos courbé, les yeux, droit devant lui, fixés sur la rive obscure, dont les escarpements commencent à blanchir. Soudain, l’angélus tinte, et le troupeau des cloches s’éveille en bondissant. Voici l’aurore nouvelle ! Derrière la falaise, qui dresse sa noire façade, le soleil invisible monte dans un ciel d’or. Christophe, près de tomber, touche enfin à la rive. Et il dit à l’Enfant :

        – Nous voici arrivés ! Comme tu étais lourd ! Enfant, qui donc es-tu ?

        Et l’Enfant dit :

           – Je suis le Jour qui va naître.

     

    FIN

     

        Le mot "FIN" ne doit pas être oublié. Il fait partie du texte.

     

    Aurore

     

     


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       Ce matin, malgré le gel apparent sur les toits un grand brasier crépitait face à ma fenêtre.

      

    Feu

     


         Et il résonnait en parfait écho de ma lecture de la veille, que je vous transmets.

        Ce texte est extrait du livre intitulé "Je Suis" (éd. Les Deux Océans), qui rapporte des entretiens avec le grand maître indien Nisargadatta Maharaj, à Bombay dans les années 1970.

     

     «  Ce qui est primordial, c'est l'étendue infinie de la conscience, la possibilité éternelle, le potentiel incommensurable de tout ce qui fut, est et sera. Quand vous regardez quelque chose, c'est l'ultime que vous contemplez, mais vous vous imaginez voir un nuage ou un arbre.

         Apprenez à voir sans imagination, à écouter sans que se produisent des distorsions, c'est tout. Cessez d'attribuer des noms et des formes à ce qui est essentiellement sans nom et sans forme, réalisez que tout mode de perception est subjectif, que ce qui est vu ou entendu, touché ou senti, ressenti ou pensé, attendu ou imaginé, est dans le mental et non dans la réalité, alors vous connaîtrez la paix et serez libéré de la peur.

          Même la sensation "Je suis "  est composée de la pure lumière de la sensation d'être. Le " Je " est présent même en l'absence du " suis ". De même, la pure lumière est présente, que vous disiez " Je " ou non. Devenez conscient de cette pure lumière et vous ne la perdrez jamais. L'être de tout être, la conscience d'être conscience, l'intérêt dans toute expérience on ne peut le décrire, et il est cependant parfaitement accessible parce qu'il n'y a rien d'autre. »

     

    Jour naissant

     

            Était présente également la pure lumière du Jour naissant...

     

       Et comme l'écrit Paul Claudel dans "Jeanne d'Arc au Bûcher" :

     «  Loué soit notre frère le feu, qui est pur, ardent, vivant, pénétrant, acéré, invincible, irrésistible, incorruptible.

          Loué soit notre frère le feu qui est puissant à rendre l’esprit à l’esprit et ce qui est cendre à la terre ! »

     

     

     


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         Voici une tentative de réponse au thème proposé par Sabine.

         Mais ne voyageant guère en ce moment il sera plutôt une sorte de fable qui je l'espère ne vous semblera pas trop amère.

         Car si les voyages forment la jeunesse et s'ils ont instruit Sindbad et Ulysse, bien des marins partis pour l'Islande ou le Nouveau Monde n'en sont jamais revenus.

      

    Voyage grues

     


         Je suis une grue. Un spécimen de ces animaux bruyants et grégaires que l'on trouve aux alentours du lac de Der (le "dernier" des lacs...) en Champagne-Ardennes.

          Je ne sais d'où je viens.

         Mais je sais où je vais : je rentre chez moi, dans le grand pays des grues, avec toute ma famille rassemblée. Et nous chantons, nous chantons en chemin.

     

    Voyage-grues

     

          Nous chantons pour nous donner du courage et nous avançons ensemble, les yeux rivés sur l'horizon, car nous savons, nous savons que nous arriverons.

           Mais le chemin est dur. 

        Il y a les vents contraires. Les pluies qui battent à nos têtes. Et tous les obstacles inattendus. La brume... L'épuisement....

     

    Voyage grues

     

         Mais quoi qu'il arrive nous suivons aveuglément la pionnière qui est déjà loin devant.

     

    Voyage grues

     

        J'ai traversé des campagnes, des campagnes... Des nuages, des nuages... Des forêts, des forêts...

     

    Voyage grues

         

           Et puis il y a eu ce brouillard.  Ce terrible brouillard.

     

    Voyage-grues

     

          Et je n'ai pas vu cette ligne à haute tension.

     

    Voyage grues

       

          Et voilà. Pour moi le voyage est fini.

     

    Voyage grues

     

          Mais ce n'est pas grave. Et je me réjouis !

     

    Voyage - grues

     

        Car les autres, je sais qu'elles arriveront. Elle finiront le voyage. Elles seront à la maison.

           Et je suis dans leur cœur.

     

     

     


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         Aujourd'hui je fais de la publicité pour un pianiste américain qui répond comme d'autres au doux patronyme de "Raphaël" (voir ici l'article que lui consacre Wikipedia anglophone). 

             Entraîné vers le tantrisme il crée avec son épouse Kutira Decosterd un centre de développement spirituel à Hawaii (voir ici) dans lequel sa musique revêt une valeur fondamentale.

         Malgré cette tendance sensualiste il n'en conçoit pas moins des compositions très inspirantes, même lorsqu'il "pique" ici ou là un thème au répertoire classique sans l'avouer, car il les arrange toujours magnifiquement.

         Je voulais aujourd'hui vous faire découvrir, si vous le souhaitez, un extrait de son dernier album paru chez "Hearts of Space" : Intimacy. On trouve ce morceau ainsi que pratiquement tous les titres de ses albums sur youtube, je vous le présenterai donc sous sa forme vidéo car elle est plus agréable au lecteur, et il s'intitule Joy of forgiveness : la joie du pardon.

     

          S'agit-il du bonheur de pardonner, ou d'être pardonné ? On ne sait.

        Mais dans les deux cas, n'est-ce pas fondamentalement de la même joie qu'il s'agit ? De même que donner et recevoir sont une seule et même chose, pardonner et recevoir le pardon semblent relever du même mouvement intérieur.

         Par-donner, c'est aller au-delà du don. S'engager dans la per-fection du don. Et recevoir le pardon entraîne la re-connaissance : connaître de nouveau ce qui avait été oublié... Voir de nouveau !

          C'est pourquoi le Pardon est la plus grande bénédiction qui existe. 

       

           C'est l'aban-don... C'est l'effacement. Faire disparaître ce qui au final n'aura jamais existé...

           Aussi la vidéo ci-après illustre-t-elle parfaitement ce retournement de soi jusqu'à disparaître dans le courant d'une rivière. 

     

     

        Pour les connaisseurs, vous remarquerez, et j'avoue que c'est ce qui m'a le plus séduite dans ce morceau, que depuis la seconde minute jusqu'à 4'10 environ nous entendons une interprétation (assez fidèle) d'un extrait du très beau quintette de Robert Schumann (voir ici, à 10'50 et 15'15), tout de tendresse.

      


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         Voici un poème de Rabindranath Tagore, tiré de l'Offrande Lyrique (traduit par André Gide). 

     

    Jal Mahal-Jaipur

     

        Mais comment Toi tu chantes, Maître, je l’ignore ! Et j’écoute toujours dans l’éblouissement silencieux.

          La lumière de ta musique illumine le monde. Le vital souffle de ta musique roule de ciel en ciel.

          Le flot sacré de ta musique à travers les digues de pierre se fait jour et se précipite.

          Mon cœur aspire à se joindre à ton chant, mais s’efforce en vain vers la voix. Je parlerais… Mais aucun chant ne se forme de mon langage et je me lamente confus. Ah ! Tu as fait mon cœur captif, Maître, dans les lacs infinis de ta musique.

     

    Sri Krishna

     

     


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