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Voyage


       Je reviens de voyage. Expérience étrange et originale, car depuis bien longtemps je ne bouge plus - ou très peu.

      Persuadée, avec Sénèque, que où que l'on aille on s'emporte avec soi (voir ici), et que n'importe quel lieu est paradis pour le sage, je ne suis partie que par nécessité ; mais la curiosité bien sûr s'y ajouta, curiosité qu'il est utile d'observer, cette observation de soi formant à son tour une autre curiosité ... Cependant pour s'éteindre totalement, le désir ne doit-il pas brûler jusqu'au bout ?


        Tant de sensations pour exciter l'esprit ! Embouteillages énormes, énervement et angoisses multiples furent le premier volet du voyage. Oser sortir de son confort, est-ce donc obligatoirement rencontrer le chaos ? Pourtant celui-ci n'avait rien d'inconnu, et ne modifiait rien de ce que j'étais profondément en moi-même. Le monde était foisonnant de désirs multiples, de forces aveugles, voilà tout.

       Je n'avais pas pris l'avion depuis plus de 40 ans... Quelle merveille que de voir les prodiges de la technologie humaine ! Je n'en finissais pas de m'interroger sur la possibilité de glisser sur l'air comme on le fait sur la terre ou sur l'eau... et de me dire que les quatre éléments dans lesquels nous évoluons sont comme les murs sécurisants d'une matrice sans faille ; ou encore que tout, absolument tout est possible dans ce monde-miracle où dès qu'une chose est imaginée, elle est réalisée.


Nuages


          Nous fûmes bientôt au-dessus des nuages et je pus constater que, vus de dessus, ils étaient strictement les mêmes que vus de dessous. Rien de nouveau. Monter en altitude donne une autre perspective sur les choses mais ne change guère la connaissance qu'on en a.

        Or, Krishnamurti parle de "Se libérer du connu".  Jusqu'à présent tout me restait connu. Arthur Rimbaud a traversé le monde, avec son Bateau Ivre, sans que cela lui apporte vraiment ce qu'il attendait... Baudelaire, dans "Le Voyage", a tout tenté pour trouver "du nouveau" et n'a vu que la Mort pour le lui apporter.

      Et moi, qu'allais-je trouver à Berlin ?

      Des gens. Ce n'était pas "nouveau", mais c'étaient des visages, des sourires, des êtres comme moi fleurissant de vie. Quelle langue parlaient-ils ? L'allemand, l'anglais, le français, tout ce que l'on veut (que du connu...), mais il y avait surtout la langue du cœur : celle que l'on parle avec les yeux, les mains, les gestes, et qui est immédiatement comprise. Tout de suite un petit groupe d'amitié se forma. Toujours du connu... Je n'avais pas quitté mon "nid".

      Que voyais-je ? Des maisons ; des immeubles ; des rues, des voitures ; des arbres, des rivières... Tout cela était connu ! Évidemment comme la Vie est par nature imprévisible, le paysage n'avait pas forcément l'allure que j'aurais imaginée, et surtout la météo était inattendue : somptueuse, contrairement à celle abandonnée en France ! Mais pouvais-je dire que j'étais dans l'inconnu ? Je suivais un guide, un flot, et tout était toujours ce même confort que j'avais cru quitter... Même avec des douleurs aux pieds ou en étouffant de chaleur, qu'y avait-il de changé ?

 

Le château de Sans Souci à Postdam


      Je ne pensais pas être touchée par la visite de Postdam où j'imaginais un faste de pacotille, et découvris avec étonnement un prince malheureux ne cherchant que la simplicité et réfugié dans ce que nous appellerions aujourd'hui sans nul doute « le Zen » : n'entretenir aucun souci. Rallié à la Franc-Maçonnerie et très attaché à Voltaire dont la Sagesse immense vaut largement celle de Sénèque, Frédéric II de Prusse m'apparut surtout comme un être souffrant ayant refusé d'endosser pleinement la condition pour laquelle on l'avait élevé et ayant préféré se faire creuser une tombe sans fioritures dans son jardin à côté de ses chiens.

 

La tombe de Frédéric II de Prusse


      Tout passa comme l'éclair. De jolies choses lumineuses que l'on regarde comme un film à la télévision ; que je me suis empressée de photographier car tout est aussitôt oublié. Des plaisirs pour les yeux, pour l'oreille, pour l'odorat, le goût et la peau... Des bouquets de sensations qui donnent l'impression d'être plongé dans un bain où l'on se sent merveilleusement bien. L'émerveillement, l'émerveillement d'être en vie et de sentir qu'elle palpite autour de soi, comme une eau pétillante.

     Et au retour, encore des surprises, encore de l'inattendu sous toutes ses formes. Mais non de l'inconnu ! Forcer sur ses capacités de résistance et tomber de fatigue : encore un ressenti qui brusquement rappelle que l'on est vivant, que dormir est suprême félicité... Quand, après une lutte éprouvante on s'abandonne à la vague puissante qui vous porte, la sentir enfin, cette vague et reconnaître qu'on n'est responsable de rien, que rien n'est de notre fait, que tout se fait de soi-même, par soi-même, et pour soi-même.

     Où étais-je ? Où suis-je allée ? Qu'ai-je rêvé ? Me voici au même endroit, semblable à toujours, dans le fracas des tribulations du monde qui résonne alentour comme le bruit lointain d'un torrent... Et vraiment, si Jean-Yves Leloup recommande d'apprendre à "méditer comme une montagne" (ce que lui aurait enseigné son maître orthodoxe le Père Séraphin), je suis cette montagne, sur laquelle dévale ce torrent des choses qui passent...

 

Une fleur

 

     

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