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Passion


           Même si l'objectif de tout chercheur de Vérité est de se déconditionner de tout acquis culturel ou éducatif, comment ne pas se référer aux enseignements reçus dans le domaine spirituel ?

          Aussi ne cesserai-je jamais de penser à Jésus en cette période qui rappelle ce que les chrétiens nomment sa "Passion", en essayant d'en extraire un exemple pour soi-même, une inspiration voire des directives. Au XVIIe siècle français qui fut entre autres un grand siècle mystique il était préconisé de pratiquer "l'imitation de Jésus-Christ"; et en l'occurrence il ne s'agit pas forcément de reproduire la vie d'un individu supposé de l'antiquité, mais plutôt de comprendre en quoi ce qu'on peut en lire nous permet de comprendre, symboliquement, ce que nous devons vivre.

 

Passion

 

           Il est à noter tout d'abord que le mot "passion" n'a rien à voir avec le sens lié aux émotions que nous lui prêtons maintenant, mais qu'il dérive du verbe latin "pati" (au participe passé "passus"), souvent traduit par "souffrir" ou "subir", et qui est en réalité l'exact inverse du verbe "agere" (participe passé "actus") signifiant "mettre en mouvement" ou "agir", comme le précisent bien nos adjectifs actif et passif.

          Et c'est la première importante leçon qui ressort de cet épisode : Jésus (et celui qui veut le suivre, l'imiter) n'a plus de volonté propre ; il n'est plus acteur de son existence. Il laisse s'exercer la volonté de Celui qu'il appelle "Son Père" et qui peut être nommé "Dieu", "Maître" ou "Source". C'est d'ailleurs exprimé de façon claire :

« Que Ta volonté se fasse, et non la mienne » (Luc, 22, 42)

         Ceci est bien connu, et cependant demande à être médité bien au-delà du moment précis où l'on est face à l'épreuve. La découverte que rien ne nous appartient, et que nous ne pouvons pas même prétendre être l'auteur d'actions en ce monde est au centre même de la découverte de soi. C'est pourquoi ce moment qui précède la mort de l'homme Jésus est d'une grande richesse pour tout aspirant à la Vérité.

        Mais voyons un autre aspect, plus symbolique celui-là.

        Quelqu'un m'a dit un jour : "les disciples de Jésus, ce sont ses pensées". Passé mon premier mouvement de surprise, cette personne m'a dévoilé un énorme champ d'investigation, qui trouve son point d'aboutissement à l'occasion de la fameuse scène du jardin des Oliviers.

         Développons cette idée en reprenant la vie de Jésus : jeune, à l'époque des Béatitudes, il entraînait derrière lui des foules entières. Des milliers de personnes. Et il leur parlait, du haut de la montagne ; et il les nourrissait. Nous sommes face à un homme qui se sent investi d'une mission, et qui est plein de toutes ces pensées de ce qu'il a à faire, porté par ces projets qu'il entretient. Il a une vision puissante de lui-même ; il pense avoir un message à apporter au monde ! Ne nous reconnaissons-nous pas en peu en cela ?

          Cependant, s'investir dans le monde, avoir des projets et des idées entraîne des conflits. Nous en sommes ici témoins en permanence : les idées des uns se heurtent aux idées des autres ; qu'il s'agisse d'idéologies religieuses, politiques ou sociales, aujourd'hui il nous est facile de voir combien le frère se dresse contre le frère, chacun se persuadant de détenir la "bonne" position.

       Peu à peu, nous voyons Jésus se retirer de la foule et chercher à disparaître, affirmant que "son Royaume n'est pas de ce monde". Mais s'il n'est pas de ce monde, alors, que faire en ce monde ? Guérir ceux qui l'en supplient, voici à quoi il s'applique d'abord. Mais qui guérit, est-ce lui ? Ou la Force qui passe à travers lui mais aussi à travers chacun de ses semblables ?

         Quelques jours avant ce "jeudi saint" que nous fêtons aujourd'hui, il est d'abord accueilli comme un roi pour son entrée dans Jérusalem sur le dos d'une ânesse  : c'est son image de lumière dans le monde qui est présentée. Puis il réunit les quelques disciples qui lui restent, que l'on dit être "douze" (un chiffre symbolique) mais auxquels s'ajoutaient quelques femmes, dont sa mère et Marie-Madeleine qui fut peut-être son épouse, lors de cet épisode où il célèbre avec eux la Pâque et que l'on nomme la "Cène". À ce moment, l'unité qui existe entre lui et le groupe qui l'entoure est profondément soulignée : ils ne forment "qu'un seul corps" - Judas compris.

 

Léonard de Vinci-La Cène

 

         Il est bon que nous aussi puissions nous interroger sur les "disciples" - ou pensées - que nous nourrissons de façon très proche, et qui nous retiennent, nous conditionnent encore. Est-ce un parent ? Un conjoint ? Est-ce l'amour de la lecture, de la musique ? Est-ce le goût pour l'étude, pour le sport, ou encore une habitude devenue contraignante ? Est-ce même le sentiment d'être utile à quelqu'un, la fierté d'aider et donc le sentiment de notre importance quelque part ? De quoi nous faisons-nous dépendants, afin de rester fascinés par le monde extérieur ? Et comment éviter que dans ce cas, il n'y ait parmi ces pensées qui nous retiennent une pensée-racine destinée à nous conduire à la mort ! Une certitude que ces organes dont nous nous pensons constitués verront un jour leur dissolution et leur retour à la terre qui les a produits ?

          En effet, lorsque Jésus tombe en prière au Jardin de Gethsémani, tous ses supports, tous ses soutiens disparaissent... tous "s'endorment"... Ce qui semble signifier qu'il a su, par la force de son désir de retour vers son Père, les faire taire en lui-même et les réduire au silence. Mais est-ce bien par ses propres forces ? N'est-ce pas plutôt le Père qui, l'attirant à Lui, anéantit tout alentour ?

     Et c'est là que l'on découvre la Vérité de toute quête ; s'offrir au Père, c'est accepter de se retrouver totalement "seul" ; totalement dénudé (mieux que dénué) de toute personnalité, par l'abandon et du passé, et des habitudes, des désirs personnels, de toutes les croyances sécurisantes et de tout ce qui a fait l'investissement en ce monde. Une telle nudité entraîne une angoisse mortelle... Ce qui reste n'a plus de nom.

          Aujourd'hui il me semble que c'est cette nuit-là qui est au centre de tout.

          Le reste ne fait qu'en dériver mathématiquement - d'ailleurs on sait bien que ce qui est arrivé à Jésus est directement provoqué par l'importance du Souffle qu'il a lancé dans le monde. De même que le Souffle est lancé, de même il est ensuite repris ; de même que Jésus a eu sa face de lumière, de même l'attend sa face d'ombre ; et de même qu'il a semé de l'amour, de même il récoltera de la haine... C'est donc la traversée de l'ombre, inévitable dans notre univers manifesté fondé sur les couples d'opposés.

         Aussi, après l'accueil avec des rameaux, sera-t-il couronné d'épines et nommé "Roi des Juifs" sur cette Croix de l'Espace-Temps auquel son corps matériel ne pourra que demeurer attaché. L'on y voit souffrance, écartèlement : oui, puisque demeurer dans un tel monde où la vie entraîne la mort, où le bonheur des uns entraîne le malheur des autres, c'est en soi une souffrance.

         Mais ce qu'il nous montre, c'est comment le traverser !

« Courage ! J'ai vaincu le monde ! » dit-il (Jean 16, 33)

 

Croix-Image Dreamstime


       Et il nous montre la méthode : acceptation pleine et entière de ce qui est, en abandonnant non seulement le désir d'être un individu spécifique (il ne répond jamais aux questions sur son identité), mais aussi celui d'agir, d'être l'auteur de quoi que ce soit (il se "laisse faire" pour ainsi dire comme un pantin), et enfin celui d'avoir, de posséder quoi que ce soit ici-bas (des amis, une famille... il remet sa mère à Jean, et Jean à sa mère). Ceci est une "mort à soi-même" qui est la clé de la libération.

        Si le corps semble attaché (il est cloué à la croix : de même, nous continuons d'exister de façon extérieure dans le monde), par contre l'esprit lui, s'est arraché à tout, absolument tout, et totalement remis au Père.

« Père, je remets mon esprit entre Tes mains. » (Luc 23, 46)

        À l'instant où tout est abandonné, le Royaume "des Cieux" peut être atteint. Il est là où ne se situe aucune pesanteur, aucune attache, croyance, désir. Il est dans le retrait, le recul de la scène où nous jouions un rôle, dans le rejet du costume que nous portions et l'ouverture totale à l'immense Inconnu.

       « Vous m'y rejoindrez », a dit Jésus. Oui, si nous parvenons à suivre son exemple nous pouvons tous, tels le "bon larron", trouver cet Espace qui est notre vraie demeure et dans lequel il n'y a plus aucune limite, aucune définition, mais seulement Dieu.

 

        

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