Au moment où mon essence se transformera en océan universel
La beauté des atomes sera pour moi lumineuse.
C'est pourquoi je brûle comme la chandelle afin que, dans la voie de l'amour,
Tous les instants pour moi deviennent un seul instant.Rûmî (quatrains)
Ainsi s'exprime Rûmî pour expliquer son abandon total au feu qui dévore son cœur, quoi qu'il arrive.
Or l'Amour exige plus que l'abandon de soi-même : il exige aussi la perte de l'objet aimé. Dans la "Religion de l'Amour" il n'y a ni sujet, ni objet ; seulement l'Amour. C'est ce que son Maître, Shams de Tabriz, lui a fait comprendre en disparaissant totalement de sa vie...
Au commencement il m'a caressé avec mille grâces,
À la fin il m'a fait fondre dans le creuset de mille chagrins.
Il jouait avec moi comme avec le dé de son amour :
Quand je suis devenu à lui tout entier, il m'a rejeté au loin.Rûmî, quatrains
C'est pourtant lorsqu'il n'y a plus RIEN que peut se dévoiler la Vérité ; dans ce dénuement absolu dans lequel se trouvait Jésus sur la Croix - que j'ai évoqué ici.
C'est alors sans doute que se produit ce qu'évoque Chögyam Trungpa dans un poème :
« Soudain en m'ouvrant à l'Amour, je fus accepté. »
Quelle merveille que cette phrase !!
« En m'ouvrant » ... Comment s'ouvrir ? Sinon en se déchirant en deux par le milieu ? - Comment s'ouvrir totalement ? Sinon en s'abandonnant sans rémission ni réflexion aucune ? En s'oubliant ? En devenant aveugle à tout ce qui n'est pas Lui ?...
« Je fus accepté »... Tous les mystiques, à commencer par Farid al-Dîn Attar dans son Cantique des oiseaux dont j'ai aussi abondamment parlé, montrent combien l'accès au Trône de l'Amour (= qui n'est autre que l'Absolu suprême) est périlleux et requiert d'efforts, d'épreuves et de sacrifices... Ces mots sont éblouissants de joie et de gratitude.
Voici la suite du poème, dont j'ai mis en italique le dernier vers car il répond à une tradition tibétaine qui n'est pas la mienne mais a un sens précis : il évoque le "Jeu" perpétuel du Vivant.
« Disparurent tout questionnement, toute hésitation.
Je demeurai totalement immergé dans le Tout-Puissant,
Le Joyeux Mandala de la Dakini. »Chögyam Trungpa, cité dans Mudrâ, l'Esprit primordial