Aujourd'hui je vous donne le choix de la musique à écouter. Et comme vous le verrez, entre les deux mon cœur balance...
- Soit une musique fraîche et douce de Bach (elle danse dans ma tête depuis un moment !)
- Soit une musique sombre et impressionnante de Wagner (qui m'est venue à l'esprit aujourd'hui).
Je le sens déjà, vous allez me dire :
« C'est tout choisi, ce sera Bach ! »
Oui, Bach, en allemand le ruisseau, la Source qui coule seule ! Mais que ferez-vous du Rhin (du grec rheïn qui veut dire couler, avec un clin d'oeil à l'adjectif allemand rein qui veut dire pur), du fleuve cosmique qui à la fin du Crépuscule des Dieux reprend ses droits ?
De Jean-Sébastien Bach, je voudrais vous faire découvrir, si vous ne le connaissez pas déjà, le ravissant petit duo qui figure en seconde position de sa cantate BWV 78 pour le 14e dimanche après la Trinité, et qui commence par ce chœur : "Jésus, toi qui par ta mort amère a tiré mon âme de l'abîme ténébreux du démon" (voir ici tout le texte, il figure en allemand et est traduit en anglais en vis-à-vis : c'est bien pratique !).
Il est si mignon que je cherchais au départ un chœur d'enfants ; mais non, il s'agit simplement d'un duo entre une soprano et une contralto (remplacée par une haute-contre dans l'enregistrement ci-dessous), dont les propos enfantins et attendrissants sont ici particulièrement bien rendus (alors que l'auteur de la vidéo, un espagnol, ignore quels sont les interprètes !).
Je vous en donne ici les paroles avec une traduction française, afin que vous puissiez apprécier le "rendu" musical :
Wir eilen mit schwachen, doch emsigen Schritten,
O Jesu, o Meister, zu helfen zu dir.
Du suchest die Kranken und Irrenden treulich.
Ach höre, wie wir
Die Stimmen erheben, um Hülfe zu bitten!
Es sei uns dein gnädiges Antlitz erfreulich!Nous nous hâtons avec des pas chancelants, mais pressés,
Ô Jésus, ô Maître, pour te demander de l'aide.
Tu cherches fidèlement les malades et les égarés.
Ah ! Entends comme nous,
Nous élevons nos voix pour te prier de nous aider !
Que ton visage compatissant nous réconforte !
Quand on entend cette charmante musique, on pense vraiment à ces petits enfants que Jésus aimait à voir autour de lui (les pas ne sont-ils pas "chancelants, mais pressés" comme ceux des tout-petits qui savent à peine marcher ?) ; mais elle n'est pas non plus sans me rappeler la lame n°5 du tarot de Marseille, intitulée Le Pape, et qui montre un pontife (et pourquoi pas un Maître, comme est également appelé Jésus dans le passage ci-dessus) bénissant deux suppliants agenouillés à ses pieds : des petits enfants... ?
* * *
Après ce sourire enfantin, évoquer Wagner ne semble pas une bonne idée. Ce serait comme d'osciller entre l'aurore et le crépuscule...
En effet, beaucoup des personnes que je rencontre craignent Wagner. Il serait "trop" envahissant.
Ceci ne fait aucun doute, car Wagner n'a jamais composé de musique de passe-temps - du genre que l'on peut écouter, vous savez, en fond sonore dans les supermarchés... Wagner n'évoque qu'une seule idée, toujours la même : le drame humain ! L'arrière-plan de son oeuvre est toujours philosophique et ses opéras, dont il écrit lui-même les livrets, ne sont que des allégories, des méditations, des légendes à double sens, des paraboles dont on n'a jamais fini de démêler les sous-entendus cachés. À demi-oniriques, ils réclament une "atmosphère spéciale" pour être exécutés, l'obscurité d'une salle entièrement orientée vers le spectacle proposé tandis que l'orchestre est caché dans une fosse quasi fermée (= le Festspielhaus de Bayreuth). Autant dire que, véritables joyaux pour l'école jungienne, ils sont la démonstration même que toute la vie n'est qu'un long rêve... dont les légendes dévident peu à peu le fil conducteur afin de conduire à l'éveil.
Venons-en au fait. Fin du "Crépuscule des dieux"...
J'ai toujours été étonnée du fait que dans la mythologie nordique les dieux puissent mourir ! C'est pourquoi sans doute certains dessinateurs puis cinéastes contemporains en ont fait de simples extraterrestres. Pourtant, d'un certain point de vue la chose apparaît comme prémonitoire...
Si le cosmos évoqué dans le mythe wagnérien de la Tétralogie représente la conscience humaine, le dieu créateur et volontaire qui en tire les ficelles est sans nul doute Wotan.
Or il est remarquable de constater qu'il a lui-même dessiné sa propre fin par les êtres qu'il a engendrés... Siegmund et Sieglinde, un couple humain frère-soeur évoquant le couple animus-anima* qui est voué à la mort mais a réussi à engendrer un fils, le Libérateur Siegfried ; et une fille guerrière parmi ces petites déesses à cheval, la Walkyrie Brünnhilde, qui en s'associant avec cet enfant des hommes signera sa perte !
Si la génération des "Sieg-" (racine signifiant victoire) représente l'incarnation terrestre, les Walkyries par contre, exécutrices des ordres du dieu, sont manifestement des pensées, parmi lesquelles Brünnhilde, différente parce que "la plus pure", est donc celle qui trouvera la faille dans le comportement de son père et le mènera à sa perte.
" Je sais tout aujourd'hui
Aujourd'hui j'ai tout compris"
Voici précisément le passage qui m'est revenu en mémoire aujourd'hui : lui renvoyant ses "corbeaux", qui sont les émissaires de sa volonté, elle lui intime de s'endormir du sommeil de la mort...
« Repose ! Repose ! Ô Dieu...»
Wotan, ici, représente l'ego ; l'ego qui organise son monde à sa façon mais qui, lorsque la Pensée Pure a rencontré l'Amour, doit disparaître au profit de Celui-ci.
Dans ce passage justement célèbre, Brünnhilde, après avoir rendu au fleuve primordial "Rhin" l'anneau fatidique (là interviennent toutes sortes d'éléments légendaires que je laisse de côté mais qui rappellent que l'OR est une donnée alchimique spirituelle et non matérielle**), pousse son cheval qui hennit joyeusement, et se jette dans le bûcher allumé sur le corps de Siegfried, son Amour.
En d'autres termes la Pensée Pure se dissout dans le feu de l'Amour absolu ...
(Siegfried signifie mot à mot Victoire de la Paix).
Je vous fais grâce maintenant des dernières mesures, car je ne souhaite pas insérer les vidéos de youtube, qui ne sont pas coupées comme j'aimerais et imposent des images inutiles ; et quant à l'enregistrement que je possède, dirigé à Bayreuth en 1991 par Daniel Barenboïm avec Anne Evans en Brünnhilde, il n'est pas forcément le meilleur.
Mais sachez-en du moins ceci : dès que l'ordre est revenu dans le cosmos apaisé par le retour de l'or à sa juste place, les flammes dévorent tout, y compris les demeures des dieux qui s'effondrent.
Quel règne alors sur un univers entièrement vidé de toute trace personnelle (d'hommes, de géants, de nains ou de dieux) ?
Seul demeure l'Amour, qu'exaltent les dernières phrases musicales, comme toujours chez Wagner.
Wagner était un grand mystique...
* La dualité engendrée par l'ego ? qui elle-même dans l'amour crée l'harmonisation des contraires, germe du Soi ?)
** Quand les Filles du Rhin clament par trois fois, pour pleurer l'or volé : "Rheingold, Rheingold, Rheingold ! ", on pourrait tout autant comprendre : "Or pur, Or pur, Or pur !" (reines gold - au sens de non souillé, clair, transparent).