Peut-on écrire la fin d'un tel conte ? Y a-t-il à un tel récit une issue déterminée ?
Comme vous avez déjà commencé à l'exprimer, je crois que chacun d'entre vous connaît une réponse qui lui est propre ou entrevoit une conclusion qui lui correspond.
En ce sens, je vous laisse donc le soin de l'écrire - ou peut-être simplement de l'imaginer...
Cependant, à l'instar de cette carte extraite du Tarot des secrètes Dakinis de Nik Douglas et Penny Slinger, je pense qu'il est nécessaire de plonger en soi, la rivière aperçue étant symbolique et le petit Poisson d'Or ayant été conduit là comme un appât, tels ces cerfs enchantés que les chasseurs poursuivaient inlassablement jusqu'à entrer dans le "pays merveilleux" d'où l'on ne revient pas.
En effet, cette eau qui n'empêche pas de respirer peut d'abord être comparée à la Vie, dans laquelle nous baignons et qui nous pénètre par tous les organes des sens, nous éveillant en permanence à sa Beauté sans cesse renouvelée.
En second lieu elle peut aussi être comparée à la Grâce qui nous bénit, en devenant lumineuse et de moins en moins perceptible... Nous comprenons alors que nous baignons dans cet "obscur et lumineux Silence" qu'évoque Jean-Yves Leloup à la suite de Denys l'Aréopagite.
Je citerai donc pour finir quelques textes de maîtres l'ayant expérimentée.
Tout d'abord, Kabîr.
« Subtil est le sentier de l'amour !
Là il n'y a ni demandes ni silences : toute créature s'anéantit à Ses pieds, se plonge dans la joie de Le chercher, s'immerge dans les profondeurs de Son amour comme le poisson dans l'eau. »
Poèmes, LV
Trad. Henriette Mirabaud-Thorens
Puis, Rûmî :
« Si tu as oublié la prière du cœur
Écoute l'oraison des poissons de la mer,
Car quiconque a vu Dieu est devenu divin,
Qui a vu cette mer, celui-là est poisson.
Ce monde est la mer et le corps un poisson et l'âme
C'est Jonas, privé de la lumière de l'aube
Et qui par l'oraison peut sortir du poisson !
Sinon il est digéré et il disparaît...
Dans cette mer du monde les âmes-poissons abondent
Mais tu ne les vois pas car tes yeux sont aveugles :
Ils s'élancent sans cesse vers toi, ouvre les yeux
Afin de voir clairement ces poissons tels qu'ils sont !
Et si tu ne vois pas leur forme avec les yeux
Ne peux-tu par l'oreille entendre leur oraison ?
La patience est pour toi l'âme des oraisons... »Le Masnavî, II
« Si tu es assoiffé de l'océan de l'âme
Arrête-toi un temps dans l'île Masnavî »
Trad. Leili Anvar
Enfin, Phène :
« Les Sages disent qu'il existe une espèce d'huître qui flotte à la surface de l'eau laissant sa coquille grande ouverte pour saisir la goutte de pluie de Svati (étoile la plus brillante) et qui plonge ensuite dans l'océan pour ne plus remonter.« De même le disciple doit être doté d'une grande acuité d'esprit pour recevoir le précieux Mantra et s'immerger ensuite dans les profondeurs de son infinie Splendeur, jusqu'à s'y perdre.
« Mais combien d'entre nous sont disposés à recueillir la Parole lumineuse ? »
Le Petit Atelier du Chercheur de Vérité, Immersion
Nous savons bien que nous ne sommes qu'une vague de l'Océan, et qu'il suffirait que nous lâchions la surface où les vents du mental nous font friser et onduler en houles et crêtes d'écume, pour retrouver notre Vraie Nature dans les profondeurs insoupçonnées...
(Cette pièce pour orgue intitulée "les Eaux de la Grâce", est tirée des "Corps Glorieux" du grand musicien mystique Olivier Messiaen, oeuvre dans laquelle il évoque la transfiguration selon l'Apôtre Paul. J'ai aimé particulièrement la superbe représentation du Christ qui l'accompagne et qui me semble rappeler heureusement le "Poisson d'Or" sujet de ce conte ...).