Je viens de découvrir un livre merveilleux : Le Cantique des Oiseaux de Farîd od-dîn 'Attâr traduit du persan par Leili Anvar.
Intitulée précédemment par divers traducteurs "La Conférence des Oiseaux" ou "Le Langage des Oiseaux", cette oeuvre majestueuse est une sorte d'exposé poétique de la voie qui mène à la réalisation du Divin en soi.
C'est pourquoi Leili Anvar, spécialiste de la littérature persane et particulièrement sensible à ses aspects initiatiques, a tenu à lui apporter un titre français qui rappelle à la fois le "Cantique des Cantiques" de l'Ancien Testament, et le "Cantique des Créatures" de Saint-François d'Assise.
Ayant fait l'objet d'une édition superbement illustrée, le livre est édité dans un très large format qui met en valeur les 4726 distiques qui composent l'ensemble. La série illustrée de l'ouvrage est malheureusement épuisée, mais vous pouvez en voir la présentation ici dans une vidéo d'une dizaine de minutes extraite d'une émission télévisée, ainsi que sur le site de l'éditeur où les miniatures persanes restent consultables.
Farîd od-dîn 'Attâr, poète mystique du XIIe siècle rattaché au soufisme, exprime dans une ode que Leili Anvar énonce à l'occasion d'une conférence (ici) combien il est difficile même à un poète de révéler la puissance de l'amour qui le rattache au Divin, et affirme que pour ce faire, seule conviendrait "la langue des oiseaux".
C'est la raison pour laquelle il choisira celle-ci pour cette composition magnifique dont je découvre peu à peu les beautés. Avant d'entrer dans le vif de son sujet, un peu à la manière d'Homère qui faisait précéder ses épopées d'une Invocation à la Muse, il s'adresse à Dieu dans le Prologue dont voici un extrait :
Ô Toi mon Créateur, depuis que je chemine
J'ai mangé de Ton pain dans Ta Voie, sur Ta nappe
Et lorsqu'avec quelqu'un on partage le pain
On est reconnaissant de ce que l'on reçoit
Alors que dire de Toi, océan de bontés ?
J'ai tant mangé Ton pain, j'en suis reconnaissant
Ô Toi, Seigneur des mondes, je ne sais plus que faire
Tout couvert de mon sang, je rame dans le désert
Prends-moi par la main, oui, et viens à mon secours
Ne me laisse pas seul, suppliant comme une mouche
Toi, pardon des péchés, excuse de mes fautes
J'ai cent fois brûlé et Tu veux me consumer ?
J'ai honte devant Toi et tout mon sang bouillonne
J'ai commis tant de vilenies ! Toi, couvre-les !
Et dans ma négligence, moi j'ai cent fois péché
Alors que Toi, Tu m'as couvert de tes bontés
Jette un regard sur moi, ô Toi qui es mon Roi
Si Tu as vu en moi le mal, c'est du passé
C'est par pure négligence que j'ai commis des fautes
Pardonne mon coeur lourd et mon âme affligée
Même lorsque mes yeux ne semblent pas pleurer
Dans le désir de Toi, mon âme est tout en pleurs
Tout le bien et le mal que j'ai pu faire, Seigneur
Oui, tout ce que j'ai fait, je l'ai fait à moi-même
Pardonne mes faiblesses, dans toute leur bassesse
Absous mes manquements qui sont mon déshonneur !
On est étourdi de l'éloquence du poète dont la parole semble fuser sans aucun frein, d'une manière souvent touchante et presque puérile, mais également impressionné du talent de la traductrice qui, tout en cherchant à rendre au mieux les sonorités, les jeux de mots et les allusions exprimées en persan, a réussi de plus à insuffler à ces distiques le rythme des alexandrins.
(à suivre ici)