Voyageur contemplant une mer de nuages
Caspar David Friedrich, 1818
Il arrive un moment où les mots sont comme des fils qui s’entremêlent
Et s’entrelacent et s’entrenouent jusqu’à ne plus former qu’amas inextricables ;
Il arrive un moment où les mots sont comme des arrêtes de roches auxquelles on s’agrippe,
Et qui vous blessent et vous lacèrent jusqu’à vous laisser ensanglanté à flanc de falaise ;
Il arrive un moment où les discours ressemblent aux aboiements de chiens
Qui s’acharnent et s’acharnent à faire le plus de bruit possible,
Montrant les dents, grognant et frémissant de haine…
Car nos pensées sont semblables à ces chiens qui crient sur tout ce qui passe,
Et nos paroles, à ces lambeaux de peau inutiles dont se débarrassent les serpents.
Telles des nuées, laissons passer ces tumultes irraisonnés,
Paroles, discours, lectures, pensées,
Tout ce fatras de n’importe quoi qui vente à notre porte,
Chassant la feuille morte…
Si haut, le sifflement du Dragon d’Air
Qui plane suspendu dans l’Espace infini !
Là où s’arrête le chemin pentu
Dont les chaînes cliquettent encore à nos pieds écorchés
S’ouvre un Silence inconcevable.
Ce Silence est Appel ;
Ce Silence est Abîme ;
Mais
Plonger n’est pas possible en vêtement de chair.
Il se peut cependant qu’un Souffle des hauteurs
Dissolve peu à peu cette forme imprécise,
Et que dans un brouillard lentement dispersée
Elle s’efface enfin dans l’Éclat du matin...
Ou si le Dragon d’Or enfin se déchaînait
Et soufflait son Néant éblouissant d’Amour,
Peut-être l'entendrait-on pour la première fois,
Le Chant des Profondeurs !...