• Siegfried et le sang du dragon


          Puisque Viviane dans son commentaire à mon article précédent évoquait le symbolisme des opéras de Wagner, très en relation avec la quête spirituelle dans la lignée védantique, j'évoquerai aujourd'hui le personnage de Siegfried, dont l'aventure primitive m'est revenue à l'esprit en poursuivant la lecture du livre déjà plusieurs fois cité : Embrasser l'immortalité de Sri Siddharameshwar Maharaj.

     

         Voici le passage qui m'inspira, extrait d'un enseignement diffusé à ses disciples le 20 juin 1929 (p.233 du livre) :

    « Le monde n'existe qu'à cause de l'ego, il n'est pas le résultat d'un désir du Soi. Qui n'a pas construit de château en Espagne ? Nous le faisons tous dans nos rêves. Nous sommes victimes d'hallucinations lorsque nous imaginons un serpent lové dans l'obscurité, alors qu'il ne s'agit que d'une corde. Nous faisons exister le serpent. Sans nécessité nous avons des sentiments et nous affirmons : "c'est le monde... c'est mon épouse..." Alors il y a un monde, il y a une épouse, etc. Ce sont des opinions bien établies dans le mental. Tant que nous vivons, nous voyons le monde matériel mais il suffit que le corps cesse d'exister, et le monde disparaît aussitôt. Le monde nous semble exister mais il n'est que notre concept. »


        Ce serpent bien sûr me fit penser au dragon de Siegfried (comme au serpent du Jardin d'Eden d'ailleurs), mais le symbolisme du dragon est beaucoup plus complexe et en l'occurrence ici il me semble revêtir un autre sens. Reprenons un peu les faits.


    Siegfried exécute le dragon-Max Koch


         Siegfried, qui ne connaît ni sa mère ni son père (morts tous deux avant et à sa naissance) et qui se trouve donc être le premier d'une lignée élue de la race humaine, part à la recherche de son origine - qui est divine.

          Élevé par un nain (symbole de la vie animale dénuée d'origine divine ) il est poussé par celui-ci à rechercher l'anneau du pouvoir, qui serait détenu par un dragon - anciennement géant, un titan dirait-on chez les Grecs.

        Poussé par son innocence, son courage et sa destinée, il abat le dragon et conquiert l'anneau.

          Qu'est-ce que le dragon en définitive, si ce n'est la représentation imagée de l'univers, du cycle des naissances et renaissances, du cercle de samsara - le mystère de sa naissance donc, la matrice originelle ? Et qu'est-ce que l'anneau, si ce n'est la maîtrise de la force vitale, la prise de possession du prâna qui anime le monde et la certitude en fin de compte d'être le dieu créateur de tout ?

          Malheureusement ceci le condamne à la dictature de l'ego, car en se recouvrant du sang de l'animal et s'emparant de l'anneau de pouvoir, il reprend à son compte la nature du dragon et se lie au cercle de l'illusion.

    Siegfried et le sang du dragon


        Et voici où je voulais en venir.

       Siegfried se plonge dans le sang du dragon. Pour obtenir puissance et invincibilité il se recouvre entièrement de ce liquide magique ; sauf qu'une feuille vient se loger dans son dos et empêche cette zone d'être touchée par le sortilège !

         Ce genre d'aventure se produit dans d'autres mythologies, par exemple dans l'histoire d'Achille, dont le talon n'avait pas été plongé dans le Styx par sa mère Thétis.

         Le sang est ce qui rattache au monde matériel ; le Styx, fleuve des Enfers, est ce qui promet à la mort. Cette pellicule - pourtant invisible - de mortalité (contrairement à la promesse "d'invulnérabilité" annoncée) est comme un vêtement rajouté à la personne, et ce vêtement est l'ego : il est l'apparence que l'on se donne, le masque de théâtre endossé pour exister sur la terre.

         Car Siegfried, comme Achille, sont des représentations du Soi ; mais ce dont ils se sont enduits les en distingue et à cause de cette enveloppe trompeuse ils ont totalement oublié qui ils étaient. Pour se connaître eux-mêmes il faudrait qu'ils s'en débarrassent, et ils ne peuvent le faire car ils ne la perçoivent plus !

         Si l'on suit bien la comparaison faite par Siddharameshwar Maharaj - qui est en fait un thème très classique de l'Avaïta vedanta, cité de nombreuses fois dans tous les textes sacrés - , l'univers nous apparaîtrait par une simple méprise, telle une hallucination, uniquement parce que nous collons une image projetée par notre mental sur la Réalité ; et en d'autres termes parce que sur une simple corde nous croyons voir les écailles d'un serpent. 

         Ceci me rappelle les gommettes que les enfants collent sur de petites maquettes pour les faire ressembler à un objet connu :

    Avion à construire          Avion assemblés et décorés
    en voici d'avions...

    Maquette château       Château ddécoré
    en voici de châteaux...

         
          Il n'y a rien, du moins rien d'intelligible ; et notre mental devenu ego a construit le monde, tout comme un guerrier s'est recouvert de peintures pour impressionner l'ennemi ! Étant recouverts nous-mêmes, nous sommes piégés, sauf... 

         SAUF ! Hé oui : et si Thétis n'avait pas fait exprès de tenir son fils par le pied pour qu'il reste un point non recouvert par le fleuve Styx ? Et si Wotan, le véritable "père" de Siegfried n'avait pas envoyé cette feuille pour que le jeune homme puisse ultérieurement se souvenir de lui-même ?

             Cet endroit, entre les deux omoplates, est comme une lucarne par laquelle il peut échapper à sa condition mortelle et à l'emprise de l'ego. L'Ego qui pourtant lui promet l'invincibilité bien sûr, puisqu'il se croit immortel et que tout humain pris dans ses filets ne cesse de renaître indéfiniment !

         Le point non contaminé par l'ego est situé dans un endroit du corps inaccessible aux sens habituels : par derrière - surtout dans le cas de Siegfried. Ainsi la redécouverte de sa véritable identité ne sera-t-elle possible que par un effet de surprise ; et grâce à la flèche adressée par un autre lui-même (puisque tout est ego, tout est "le même") : un prétendu ennemi qui n'est en fait que sa face cachée dans la dualité (le visage inverse, le reflet dans le miroir) et celui qui, en définitive ... tue l'ego.

    Mort de Siegfried

     

        Pourquoi une petite feuille est-elle venue se loger entre les deux omoplates de Siegfried ? Du deux (deux omoplates) il a fait le UN (un point de vulnérabilité, l'accès unique à sa véritable identité).

     

     

    « Pour s'effacerAux sources de la lumière... en Limousin »

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 2 Juillet 2015 à 18:13

    Bonsoir Aloysia, c'est bien difficile de commenter tout cela, j'ai lu attentivement et je vois que l'homme est bien piégé et qu'il aura bien du mal à sortir des renaissances multiples, à moins que la flêche ne l'atteigne dans son ego ! 

    Je salue ton courage de nous expliquer tout cela alors que ton esprit devrait "divaguer" avec la grosse chaleur. Bises ma belle

    2
    Jeudi 2 Juillet 2015 à 18:48

    Mon courage ? ! Ma pauvre Danaé, c'est le contraire, c'est justement qu'il "divague" !! Mais toi, tu es vraiment mignonne d'être toujours si fidèle...

    Oui, vu la chaleur je reste enfermée au frais, et entre deux lectures je "médite" au sens où mon esprit bien évidemment gamberge un peu. Enfin ! Ne soyons pas négative, ces "découvertes" me font du bien : le symbolisme wagnérien fait partie des éléments qui ont bercé mon existence et y découvrir de nouvelles interprétations insoupçonnées, m'y ouvrir de nouveaux horizons me ravit...

    Bisous !

    3
    Vendredi 3 Juillet 2015 à 09:51

    Bon, là c'est une compliqué pour moi....

    Bonne journée

    Jean

    4
    Vendredi 3 Juillet 2015 à 10:10

    C'est vrai que ton texte est harde mais cela dit chaque  jour qui s'offre à moi, je le reçois avec la même ardeur pour que tout ce qui m'entoure soit embelli même si une épine croise mon chemin de la plénitude de mon esprit que je me suis forgée depuis pas mal d'années

    Personne d'autre que moi dirigera ma façon de penser mais je respecte  la différence en la détournant de mon esprit si celle-ci ne convient pas à mon éthique 

    La vie tout court n'est pas exemplaire mais c'est ce que nous nous voulons qu'elle soit 

    avec ce que l'on a comme moyen , une âme en paix est toujours plus heureuse pour évoluer dans ce monde de turbulences incessantes 

    C'était juste une petite page de mon petit cerveau de roitelet yes car 

    Si chacun arrosait la vie de bons sentiments chaque jour  on aurait pas tant besoin de se creuser à trouver ailleurs la perfection qui n'existe pas pour rompre son ennui où sa quête de jalousie d'être le meilleurs 

    Bisous et bonne fin semaine 

    _DSC7913

    5
    Vendredi 3 Juillet 2015 à 10:20

    Merci à tous deux !

    6
    Vendredi 3 Juillet 2015 à 11:29
    daniel

    Pour moi aussi c'est un peu trop compliqué. Sans doute la chaleur trop forte. Je suis comme un légume, avachi sur mon canapé !

    7
    Vendredi 3 Juillet 2015 à 13:40

    Bonjour


    Moi qui adore la mythologie j'ai été comblée!!


    Je suis de retour


    Bisous

    8
    Vendredi 3 Juillet 2015 à 13:43

    Aloysia, ce point que tu dis"non contaminé par l’ego"

    n'est-ce pas ce point qui nous rend humain,  puisque mortel?

    Amicalement.

    9
    Vendredi 3 Juillet 2015 à 14:58

    Merci de votre visite à tous trois !

    Daniel, tu es pardonné, j'ai moi-même avoué que je ne faisais qu'une méditation qui n'engage que moi sur un sujet qui m'a toujours passionnée... Alors pour un peu que le sujet ne te touche point ne t'en inquiète pas ! En tous cas je te souhaite de très bonnes vacances puisque tu pars demain ! Tu vois, la canicule nous a fait renoncer au pique-nique auquel je t'avais convié... Tu ne manqueras donc rien. Bises rafraîchissantes.

    Wolfe : ah ! je suis heureuse de ton enthousiasme, on se donne la main là.

    Jamadrou : oui, ce point "non contaminé par l'ego" contient notre espérance de retrouver la Source, et il est synonyme d'être mortel puisque c'est cette condition qu'au fond de nous-même nous refusons qui nous éveille à "autre chose" ! C'est aussi ce qui nous différencie des animaux qui eux, ne peuvent connaître cet éveil.

    10
    Samedi 4 Juillet 2015 à 17:00
    11
    Samedi 4 Juillet 2015 à 17:41

    Ah ! si, tu as le bon lien, alors merci Nicole et bisous... !

    12
    Dimanche 5 Juillet 2015 à 11:29

    MERCI pour ces belles explications, la chaleur et les antibios ne me permettent pas d'apprécier comme je voudrais, mais bon, patience ! 

    et bon dimanche à toi

    13
    Dimanche 5 Juillet 2015 à 19:48

    Alors soigne-toi bien !

    14
    Lundi 6 Juillet 2015 à 14:11

    Chacun a sa part de divinité.

    En Espagne j'ai vu un Christ en croix avec un bras tourné vers le ciel et un bras tendu vers la terre. Sa part d'homme relié à sa part divine. Il nous montre que nous sommes nous aussi reliés.

    Merci Aloysia pour ce que tu m'apportes

    Bisous

     

    15
    Lundi 6 Juillet 2015 à 14:40

    Bonjour Océanique ! Je te retourne le merci car je ne connaissais pas cette image du Christ ! Je pars quelques jours, peut-être sans internet donc je te dis à bientôt ! Bisous.

    16
    Lundi 6 Juillet 2015 à 21:50

    bonsoir Aloysia et merci pour tes visites - je reviendrais prochainement lire ton article - bises 

    17
    Mardi 7 Juillet 2015 à 00:13

    Siegfried et l'empreinte, en négatif, de la feuille, nous rappelle que nous ne devons pas masquer notre vulnérabilité. La connaître et l'assumer est la plus grande force de l'homme, elle l'ouvre, aussi, à la tolérance, dans la mesure où il se reconnaît faillible, l'homme peut comprendre les failles des autres. Peut-être ne connaissons-nous rien de la vie tant que nous n'avons pas fait face à nos faiblesses et parfois, oui, c'est l'ennemi, ou les coups du sort, qui nous obligent à les considérer, à les accepter (à accepter avec amour de vivre avec).

    Amitiés.

    Erin

    18
    Mardi 7 Juillet 2015 à 00:36

    Il faut qu'il y ait une faille. Sinon, où serait la perfection ?

    19
    Mercredi 8 Juillet 2015 à 09:12

    Merci de ton passage et bonne vacances dans le Limousin

    Bisous

    20
    Mercredi 8 Juillet 2015 à 14:39
    Merci à tous. J'essaie de me débrouiller avec mon téléphone... N'ayant pas de wifi pour quelque temps..
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    21
    Vendredi 10 Juillet 2015 à 10:21

    Passionnant et compliqué, à méditer... J'aime bien ce que dit Carole, j'y souscrit. Bises.  brigitte

    22
    Vendredi 10 Juillet 2015 à 14:21

    Bonjour Brigitte : c'est exactement ça. Mais j'inverse la vapeur : on prétend que le héros est invincible mais qu'il y a une faille qui le rend vulnérable ; cela, c'est la formule généralement adoptée. Moi je dis que le héros est baigné dans l'ego (ce qui ne peut que le pousser à se surestimer !), et qu'heureusement une faille lui permet de s'exposer à la destruction de celui-ci ; ce qui est une vocation bien plus exaltante que celle d'être un "demi-dieu"!

    23
    Vendredi 10 Juillet 2015 à 18:31

    Trouver le point faible pour atteindre l'autre, hé oui, nous ne sommes pas parfaits et heureusement, mais je ne m'étends pas, c'est un peu compliqué. Je vois que tu es en vacances, alors je te souhaite un bon séjour et te dis à bientôt, bisous



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