•         Martine Réau-Gensollen, mieux connue sous le nom de "La pèlerine", puisqu'elle est de son propre dire "citoyenne du monde" et marcheuse sur les plus beaux chemins de la terre (à commencer par celui de Saint-Jacques, en Espagne), m'a demandé il y a quelque temps de m'attaquer à  un challenge indiqué sur son site : "recréer le monde". Mais comment ? je l'avais déjà tenté ici ; et cette fois, il s'agissait peut-être plutôt de reprendre le récit biblique pour en indiquer d'autres issues, d'autres possibles (voir ici son article).
        J'ai donc tenté, par ce texte de relire la Bible à ma manière, et je le confesse, je demeure persuadée que le monde ne saurait être différent de ce qu'il est. Car mon intelligence étroite ne sait concevoir un monde exempt de la dualité, par laquelle il est fatal que tout bien engendre un mal - de même que tout mal engendre un bien. S'il n'y avait le malheur, nous ne connaîtrions pas le bonheur, et s'il n'y avait la cruauté, nous ne connaîtrions pas la compassion... Ainsi donc, pourquoi nous détourner de ce qui pour nous est surtout une grande et belle école ? Ecole d'amour, car, comme l'amour a lancé nos ancêtres dans ce guêpier, de même, l'amour est le seul viatique nous permettant d'en retirer le meilleur : en effet lui seul - le vrai, le grand, l'amour désintéressé - permet d'échapper à la dualité en acceptant tout ce qui est.

     

    La Pomme

    (Image tirée du net)

     



    Adam était à Eve,
    Eve était à Adam,
    L’un à l’envers de l’autre
    Et l’autre à l'endroit de l’un.

     Ils se tenaient la main
    Dans le jardin sans fin où ils s’étaient trouvés,
    Un peu seuls
    Parmi les ailes froissées de quelques anges clairs

    Et le gazouillis des oiseaux.

      Regarder courir les petites bêtes
    Etait leur seule aventure journalière,
    Et puis se regarder aussi,
    Se détailler :

    Etaient-ils beaux !

       Oui, beaux, mais seuls
    Parmi ce foisonnement de merveilles,
    Parmi la féerie d’un monde à peine né,
    D’un monde vierge,
    D’un monde encore tout chaud sorti

    Du giron du Grand Dieu.  

     En ce monde ils dormaient,
    Lovés dans des replis de terre
    Parmi renards, furets ou bien lézards,
    Et chaque nuit ils contemplaient avec ferveur
    L’immensité du ciel tout parsemé d’étoiles,
    Le firmament clouté

    Tel un parterre d’or.  

     Fallait-il vivre ?
    Et fallait s’aimer ?
    Fallait-il débuter l’histoire inexorable ?
    Ils auraient pu rester inertes et transparents
    Ainsi que des poupées-chiffon
    Dans le décor mouvant
    Du jardin chatoyant,

    Sans manger ni sans boire...  

    Mais n’étaient-ils pas là pour expérimenter ?
    Adam, premier danseur,
    Prit Eve dans ses bras comme l’on porte un cygne
    Et la porta si haut
    Qu’elle atteignit les arbres.
    Se lever et danser, c’était leur vocation ;
    S’élever et mourir, c’était leur destinée…

       Une pomme tomba,
    Fatalité première :
    Gravité, pesanteur

    Venaient de se créer… 

     Et il y eut le temps,
    Et il y eut l’espace,
    Et la Terre tourna,
    Et le monde naquit
    Dans toute sa splendeur

    Et toute son horreur.

       La pomme fut ouverte,
    Il y eut l’extérieur,
    Il y eut l’intérieur ;
    La pomme fut mangée,
    Et il y eut la mort
    Et il y eut la vie,
    Le début et la fin,

    Le bien-être et la faim…

     Mais que serait le monde
    Sans tout l’amour du monde ?
    L’absence engendra la présence,
    Et ce cercle infini

    On l’appela serpent.  

    Mais la sphère parfaite,
    La bulle des délices,
    C’était d'abord la pomme
    Qu’ont choisie nos parents,
    Pour que naissent les hommes
    Et que rient leurs enfants.


    La Pomme

     


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  •  

     

    Instant cheminée
    Instant posé sur les braises craquantes
    Aux formes rougeoyantes entre cendre et charbon
    Qui fusent d'étincelles

    Instant crépitement
    Bois léché par la flamme et qui meurt lentement
    Épuisé de caresses et lové dans les bras
    Des chenets femmes-sphinx

    Instant détente
    À la chaleur brûlante émanée du brasier
    Dont s'enrobent les bûches accouplées à nos pieds
    Dans leur niche noircie

    Instant d'incandescence
    Où le regard rougi par le feu qu'il reflète
    Peu à peu se dissout dans le vague et s'apprête
    À plonger dans le rêve

     
     

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  •  

    Tu dis
    Je ne m'approcherai plus des murs de ma cellule
    Et tu les tâtes

     

    Tu dis
    Je ne respirerai plus cette fleur qui me tue
    Et tu la respires

     

    Tu dis
    Je resterai au jardin clos de mon bonheur
    Et tu pars dans la neige

     

    Tu dis
    Je déjouerai mon destin
    Et il t'emporte

     

    Tu dis
    Je le saisirai et le fixerai face à face
    Et tu vacilles sous son regard

     

    Tu dis
    La vie ne vaut pas d'être vécue
    Et tu la vis

     

     

     

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  • Instant cheminée
    Instant posé sur les braises craquantes
    Aux formes rougeoyantes entre cendre et charbon
    Qui fusent d’étincelles

    Instant crépitement
    Bois léché par la flamme et qui meurt lentement
    Epuisé de caresses et lové dans les bras
    Des chenets femmes-sphinx

    Instant détente
    A la chaleur brûlante émanée du brasier
    Dont s’enrobent les bûches accouplées à nos pieds
    Dans leur niche noircie

    Instant d’incandescence
    Où le regard rougi par le feu qu’il reflète
    Peu à peu se dissout dans le vague et s’apprête
    À plonger dans le rêve

     

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  • « Suave, mari magno turbantibus aequora ventis
    E terra magnum alterius spectare laborem »(1)
    Lucrèce, De Rerum Natura, début du Livre II

     


    Tempête à la Pointe du Raz. Photo John Ushant (voir ici)

     

     

    Les jours s’écoulent silencieux et dorés
    Comme les vagues sur la mer

    L’instant s’épanche en infini brouillard
    A peine troublé par la calme alternance
    De profondes ténèbres et de pâles journées
    Avec ici et là quelques points animés
    Images fuyantes et colorées
    Moments chauds et joyeux

    Finis le noir labeur
    L’incessante tempête
    Où coquille de noix ballottée par les flots
    L'on se heurte aux récifs
    Toujours blessé
    Toujours noyé
    Toujours à bout de souffle

    Ne rien faire et regarder
    S’effacer comme s’efface la buée

    Et pourtant vivre
    Aussi enraciné que le tronc plein de sève
    Manger dormir marcher aimer
    Vivre enfin comme existe
    Un roc sur l’Océan

     

     

    (1)« Il est doux, quand sur la vaste mer les vents font tournoyer les flots,
          De voir depuis la terre un autre s’épuiser… »
          (trad. Martine Maillard)

     

     

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