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Par-delà l'horreur avec Satprem
Tandis que les arbres semblent frappés d'une maladie mortelle et cependant se laissent dépouiller de leur substance dans un éclat qui nous inonde de lumière et de douceur ; alors qu'approche cette pleine lune (considérée comme "super" parce qu'on la verra plus grosse que d'habitude) qui, dans le mois du Scorpion, appelle à travailler sur les émotions liées en nous à la mort, j'aimerais citer ici quelques propos de Satprem (1923-2007), ce breton qui devint en Inde le proche collaborateur de Mirra Alfassa ("Mère", née à Paris en 1878, décédée à Pondichéry en 1973), la compagne d' Aurobindo (1872-1950) dont il avait fait la connaissance en 1946, son oncle étant le dernier gouverneur de ce comptoir français avant la décolonisation.C'est en faisant du vide dans ma bibliothèque que je me suis retrouvée face au livre de Frédéric de Towarnicki : Sept jours en Inde avec Satprem (Robert Laffont, 1981) qui à l'époque m'avait intriguée tout en me laissant plutôt déconcertée par cette recherche d'une évolution "physique" de l'homme ; à cette époque on se faisait fort d'utiliser la science des Yogis pour transformer notre espèce sensée évoluer vers un organisme plus "subtil" et acquérir des pouvoirs... !
En fait ce qui aujourd'hui me frappe, c'est l'éveil que ce grand contemplatif, perpétuellement en quête d'immensité depuis son enfance de marin, a subitement connu lorsqu'il fut déporté en camp de concentration pour faits de résistance, à l'âge de 20 ans.
Voici quelques extraits de ses déclarations au journaliste qui l'interroge dans le livre mentionné ci-dessus, au sujet des camps nazis. Je reproduis exactement le graphisme et la ponctuation tels qu'ils apparaissent dans le texte (" T " représente Towarnicki).
« Ah ! ça... Ça, c'était la grâce brutale qui m'a été faite. Justement parce que j'avais tellement besoin de... de vérité - "vérité", enfin, je ne sais pas quel mot employer. Ce besoin D'ÊTRE, disons. Oui, ce besoin d'être.
Parce que ce besoin était là, je crois que la grâce m'a été faite, brutalement, de commencer à toucher une vraie réponse !
T : Les camps vous ont fait toucher le fond de certaines choses ?
Ah ! Ils m'ont merveilleusement aidé d'une façon : c'est en démolissant toutes les valeurs humaines. Tout a été saccagé, dévasté ; et pas seulement par ce que je voyais, mais par ce que je vivais. J'étais... J'avais vingt ans, n'est-ce pas - exactement vingt ans quand je suis allé là-dedans.
( ... )
T : Ils vous ont emmené où ?
On m'a emmené en prison. Et puis ça a commencé.
Ça, ce ne sont pas des choses à... Ce ne sont pas des choses à évoquer.
Mais enfin, tout cela a brisé... m'a brisé, m'a NETTOYÉ merveilleusement - affreusement, mais merveilleusement. Parce que j'aurais mis combien d'années à me dépouiller de tout ce revêtement social, familial, intellectuel, culturel, tout ce qu'on m'avait mis sur le dos pendant vingt ans ? Vingt ans d'éducation occidentale.
Eh bien, tout ce qu'on m'avait mis sur le dos a été brisé, moi y compris (ce que je croyais être moi).
C'était une espèce de néant.
Surtout ça : ce que je croyais être moi.
Je croyais que c'était beaucoup de musique, de la poésie, de ceci et de cela, et puis tout cela, c'était cassé. Cassé devant une espèce de substance humaine qui tout d'un coup découvrait la mort, la peur, l'horrible chose humaine, et qui se disait : mais quoi, quoi, quoi, qu'est-ce... ? N'est-ce pas, à ce moment de l'existence, il n'y a plus de barrières entre l'homme qui fait mal et celui qui le subit. il n'y a pas "l'homme de la Gestapo" et "la victime de la Gestapo", ou le SS et le prisonnier. Il y a une espèce d'horreur dans laquelle on est. Il n'y a pas D'AUTRES, n'est-ce pas. On est... on est totalement dans l'horreur. L'horreur, ce ne sont pas les autres : on est dedans.
Alors ça a été... ça a brisé d'une façon si... si radicale tout ce que je pouvais être, ou tout ce que je croyais être, que tout d'un coup j'ai été précipité dans... mais dans la seule chose qui restait : dans ma peau.
Oui, tout d'un coup, ça a fait une joie extraordinaire. Tout d'un coup, j'ai été comme au-dessus de tout ça, je dirais presque "riant". Comme si, tout d'un coup, de cette dévastation, j'émergeais dans un lieu qui était... qui était "royal". Je n'étais plus prisonnier ; je n'étais plus attaqué ; je n'étais plus... J'étais au-dessus et je regardais ça avec... avec un rire presque.
Et alors, brusquement, c'était comme le gosse qui était en mer, en bateau, qui était comme un roi. »
On se demande souvent pourquoi Dieu permet la souffrance, et cela conduit certains à rejeter l'idée de Son existence. Pourtant dès le premier Testament nous trouvons le Livre de Job, dans lequel nous Le voyons autoriser Satan à infliger les pires épreuves à celui qui est son meilleur serviteur ; puis dans le second, nous avons l'exemple de Jésus, qui acceptera les outrages et la torture par amour pour Son Père. Non pas, comme on le prétend souvent, "pour nous les éviter"... mais pour nous montrer la route.Nous nous étonnons souvent du courage exemplaire, et même de la tranquillité apparente dont font preuve ceux qui sont confrontés à une situation catastrophique : c'est qu'alors leur véritable nature a enfin l'opportunité de se faire jour.
Bien sûr, souffrir ne sera jamais une obligation et il est naturel que nous nous en détournions ; mais les souffrances ou la violence subie sont souvent la voie royale vers la compréhension de qui nous sommes vraiment, et nombreux sont les cas rencontrés, chez les "saints" d'autrefois ou les "éveillés" d'aujourd'hui, pour qui une grande souffrance a été le déclencheur de leur réalisation spirituelle.
Et qu'on aille pas parler de "sublimation" ou d'une quelconque aliénation mentale ! Satprem le souligne bien comme tant d'autres : la peur de la mort a été transcendée, et il en ressort une sensation de FORCE si puissante qu'on éclate de JOIE en permanence.
« Et alors quand il n'y a plus rien, justement, eh bien il y a tout d'un coup un "quelque chose" qui est subitement d'une plénitude à craquer.
(...) Je n'ai pas le souvenir d'un instant privilégié là-dedans, sauf celui où, tout d'un coup, dans cette effrayante nullité, j'ai émergé à une indicible joie... (je ne peux pas dire, je ne sais pas quel mot employer, parce que ce n'est pas "joie"). Tout d'un coup, j'ai émergé dans quelque chose qui était extraordinairement pur et fort - FORT, n'est-ce pas, FORT : plus rien ne pouvait me toucher.
(...) Une force - une force, n'est-ce pas. Quelque chose qui faisait que j'étais comme subitement invulnérable. Et plus rien ne pouvait rien sur moi.
C'était cela le premier contact avec... (maintenant, comme je le comprends !), le premier contact avec la vérité, avec ce que l'on EST - ce que tout homme EST, entendons bien, parce que quand on touche à ce commencement d'ÊTRE là, on touche à ce qui est là partout. Dans un autre homme, ou dans une plante, ou dans un animal, on touche à l'être même du monde. Et l'être même du monde, c'est quelque chose qui est plein, puissant et... "royal". »
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Commentaires
2gazouVendredi 11 Novembre 2016 à 21:12Ne pas chercher la souffrance
mais quand elle est là et qu'on ne peut rien faire pour l'éviter, l'accueillir et découvrir ce qu'elle peut nous appprendre et en quoi on peut la transformer...et notre faiblesse peut devenir une force
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Vendredi 11 Novembre 2016 à 21:20
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3blandineVendredi 11 Novembre 2016 à 21:36Ce que je retiens de la lecture Aloysia c'est : Quand il a eu tellement mal ce breton , il s'est aperçu que ses bourreaux ne pouvaient aller plus loin dans leur cruauté, Eux avaient encore de la colère et lui trouvait de la joie à voir qu'une certaine flamme brillait en lui sans pouvoir la nommer . C,est pour cela qu'il a survécu et peut témoigner . Toute une leçon!!!
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Vendredi 11 Novembre 2016 à 23:06
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Un exemple puissant et saisissant de résilience. Merci
Loïc
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Samedi 12 Novembre 2016 à 14:12
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Le journal de Mère, des jours des mois, des années de lecture ...
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Samedi 12 Novembre 2016 à 16:52
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c'est un texte impressionnant. Je connaissais Mère et Sri Aurobindo mais pas cet homme ; j'ai vu qu'il avait beaucoup écrit. Son témoignage est d'une force terrible. Quand j'était enfant, j'étais prête à traverser les plus grandes souffrances. Aujourd'hui, je la vis quand elle se produit mais je ne la recherche pas.
Merci pour ton texte ; bises
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Samedi 12 Novembre 2016 à 20:28
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8danaeDimanche 13 Novembre 2016 à 11:10la route de l'atlantique en Irlande fait 2500 km et compte 150 sites naturels. Elle date de 2014.
Le "100" indique qu'il s'agit de la portion de Inishowen. (côte accidentée). En tout cas, c'était magnifique et presque désert. Bises
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Dimanche 13 Novembre 2016 à 20:25
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Quel témoignage émouvant et bouleversant!
j'ai une amie qui vit épreuve sur épreuve! Mais des grosses hein, des costauds! et elle se relève! j'admire sa force! elle me fait penser à cet homme
Bises
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Lundi 14 Novembre 2016 à 08:48
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Je trouve ce texte très réconfortant et générateur d'un immense espoir. Bien sûr, personne ne souhaite endurer volontairement de telles souffrances, cependant, dans le cas présent, ce sont elles qui ont fait exploser le carcan, fruit du vécu, de l'éducation, qui tenait cet homme dans l'obscurité. A méditer. Merci Aloysia.
Mes amitiés
Alain
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Lundi 14 Novembre 2016 à 10:20
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Plus simplement, je dirai qu'il faut évidemment avoir été plongé dans les ténèbres, pour pouvoir comprendre et apprécier à nouveau la lumière .............Elle s'inscrit alors dans nos viscères, effaçant tout le reste, elle devient "soeur" !
Ayant quelque peu touché ses notions de mes propres "maints", j'ai toutefois lu ce récit complètement haletante, tant l'expérience y est poignante, tant il en est né une FORCE tout aussi saisissante !
Cette force j'y crois éperdument et le passage qui m'a le plus touchée intimement est le dernier paragraphe écrit à l'encre bleue "Et qu'on aille pas parler de sublimation ............................etc"
Combien j'aurais aimé voir ce film "La vie est belle" avec Roberto BENIGNI .....L'as-tu vu toi ?
Encore un moment inoubliable vécu chez toi, écrit au souffle du silence, trempé dans l'encre-riez de l'invisible : sabine
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Lundi 21 Novembre 2016 à 09:45
Merci, Sabine, de ton appréciation enthousiaste. Oui, qu'on n'aille pas parler de "sublimation" qui est la réduction imbécile des psychologues, désireux de tout ramener au matériel et au visible. Je ne dirai pas qu'il faut avoir connu les ténèbres pour apprécier la lumière, c'est plus que cela : la lumière est présente mais "les ténèbres ne l'ont pas saisie", c'est-à-dire que nous qui sommes ténèbres nous ne la percevons pas ; il est donc utile parfois (c'est une remarque qui a été faite) d'accentuer au maximum la force des ténèbres jusqu'à réussir à ne plus les voir... Et c'est seulement quand il n'y a plus rien, que la lumière apparaît. L'accentuation du noir permet son anéantissement. Le rejet du noir permet l'apparition du clair. Bises, chère Sabine.
Non, non, je n'ai pas vu le film dont tu parles. Mais jai vu "Partir, Revenir" de Lelouch qui n'est pas mal non plus.
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C'est fort, puissant et royal...
Bises du soir Aloysia
Béa kimcat
Bises, chère Kimcat.