• Noël au Sahara : un matin de Noël très spécial

        
           La voix de Daniel résonne dans mon sommeil, et m'en tire brutalement:
        - Debout ! c'est l'heure !
        Quoi, déjà ? A six heures et demie du matin, alors que la nuit règne encore au-dehors ? Quel régime spartiate ! Surtout pour un matin de 25 décembre où, décidément je n'ai en tête que mes souvenirs d'enfance: cheminées garnies, repas enrubannés, grasses matinées...
        Le remue-ménage général témoigne du réveil de mes compagnons. J'inspire une forte odeur de poussière et ressens soudain une grande hâte d'aller respirer l'air pur. Rapidement, je m'extrais de mon duvet, rajuste mes vêtements, replie mon matériel et le refixe au sac à dos, qui craque à nouveau sous le volume des pierres qu'il renferme. Déjà chacun convoie le sien vers les voitures, au petit jour gris qui s'étend fraîchement sur le village.
        Lorsque j'atteins l'enclos où elles sont parquées, le ciel est si rouge par-dessus la montagne à ma gauche que je me sens appelée vers lui... Voir le soleil se lever a toujours été mon vœu le plus cher. Certes des couchers de soleil, j'en ai vu, même si celui de la veille me semble les surpasser de beaucoup ; mais des levers, comme ça sur l'horizon, jamais! Je m'écrie à l'intention de mes camarades :
        - Je suis sûre que le soleil est levé, là-bas, derrière la falaise!
        Cependant la voix de Daniel retentit de nouveau à mes oreilles :
        - Nous retournons à la maison où nous avons couché pour boire le thé.
        Il ne m'en faut pas plus pour prendre la poudre d'escampette. Si les autres prennent le thé, cela me laisse du temps pour réaliser mon désir : pour concrétiser, me semble-t-il, la promesse même de la nuit ! Pour moi, en ce matin de Noël, le soleil va se lever pour la première fois.
     


     
     
        J'escalade le plus vite possible les flancs de la falaise. Pleine d'ardeur, fixant avec ferveur la clarté rougeoyante qui couronne le sommet, je fredonne l’air rythmé qui clôt l’opéra-rock Tommy, si merveilleusement mis en scène par le cinéaste Ken Russell avec l’image grandiose d’un lever de soleil :


    Listening to you, I get the music,
    Gazing at you, I get the heat,
    Following you, I climb the mountain,
    I get excitement at your feet !

    Right behind you, I see the millions,
    On you, I see the glory,
    From you, I get opinions,
    From you, I get the story ! 

     
        Bientôt la bise glaciale de l'aube m'atteint de plein fouet, et je me gèle sous mon pull-over, regrettant l'anorak laissé dans les bagages. Plus j'avance et plus l'arête de la falaise semble se reculer, d'autant plus qu'il me faut maintenant traverser le vaste repli sableux que surplombe le ksar, pourtant délaissé sur ma gauche. Tel un château médiéval de son sommet rocheux, il domine le village, tout cramoisi avec ses ouvertures béantes... A cette heure, le sable et les cailloux sont gris. Le vent en soufflant y dessine des plis qu'il chasse en envolées vaporeuses. Je m'acharne désespérément, redescendant à chaque pas de la moitié de ce que j'ai monté. Cet exercice a du moins l'avantage de me réchauffer, et j'espère de tout mon cœur gagner de vitesse les camarades occupés à boire leur thé matinal. Je ne puis que faire confiance à ma rapidité, ma présence sur la montagne étant maintenant totalement dérobée à leurs yeux par la dépression dans laquelle je me suis engagée.
        Peu à peu le front rocheux de la falaise se rapproche. Il m'évoque irrésistiblement un bord de mer de nos régions, comme si derrière la dune, j'allais déboucher sur la plage, sur le large ! Il m'apparaît si nimbé d'une éclatante lumière rouge et dorée, que j'hésite presque à en précipiter l'accès, persuadée que le soleil est déjà derrière, et qu'en surgissant sur le sommet je vais le découvrir, simplement présent - manquant en ce cas l'occasion attendue de le voir surgir de la terre, comme la veille il s'y est engouffré, devant moi. Ce bleu, cet or, cette pourpre, sont si diaphanes, si transparents...! C'est une extase perpétuelle que cette vision.
        Juste un bloc rocheux à dépasser, et me faufilant sur des marches sableuses, m'y voici.
        Eh bien non ! Pas de soleil. Est-ce un bien, est-ce un mal ? Juste l'étendue désertique à perte de vue... Ce plateau désolé, ce « billard » mauve sur lequel nous avons roulé hier comme des fous, avec au premier plan la vague piste délimitée par ses petits tas de cailloux.
        Je m'assieds sur l'un d'eux, contemplant le cœur serré la fulgurante clarté étalée devant moi sur l'immensité de l'horizon est. Je ferme les yeux, je me laisse baigner le front par la vivifiante fraîcheur du vent des steppes.
        Le soleil acceptera-t-il de paraître pour moi ? Car je dois redescendre aussi, je dois redescendre ! La peur me saisit... Ah, si j'avais vu en cet instant se lever le soleil, mon voyage entier s'en serait trouvé justifié !
        J'ouvre des yeux suppliants, puis je les referme, me réfugiant dans la prière... N'est-ce pas le meilleur moyen d'apitoyer le divin ? Allons, c'est le matin de Noël : un beau Notre Père...
      
        De nouveau j'ouvre les yeux, pleine d'espoir. Mais non. Toujours rien. Toujours la clarté veuve étalée sur la terre, plus flamboyante que jamais. Et derrière moi, j'entends des voix, des clameurs... Mon Dieu ! Trop tard !
        D'un bond électrique, j'ai sauté sur la pente sableuse, et je dévale en bondissant l'espace qui peu auparavant m'avait vue tant peiner. Je suis sur la lune, il n'y a plus de pesanteur, mes pas sont des sauts de sept lieues. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, je suis en vue de mes coéquipiers qui d'en bas m'adressent des signaux frénétiques. Je les atteins tout essoufflée, tandis que la Toyota déjà s'ébranle. Et David m'avertit :
        - Tu sais, heureusement que te voilà, car Farid n'avait pas du tout l'intention de t'attendre !

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        Ainsi, ce n'est qu'une heure après notre départ que je pus enfin apercevoir le soleil : lorsqu'il fut déjà bien haut, et qu'il dépassa dans sa course la muraille des falaises sous lesquelles désormais nous roulions.

     
    À suivre ici 
     
     
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  • Commentaires

    1
    Mardi 27 Décembre 2005 à 12:00
    Cette dernière photo est magique et c'est une super idée d'avoir réuni tous les textes de cette aventure saharienne.Je te souhaite par avance une bonne année, ma belle;
    2
    Samedi 7 Novembre 2015 à 12:37

    C'est magnifiquement raconté, c'était bien d'avoir le ciel pour toi toute seule, mais heureusement l'on t'a attendue ! Bises Aloysia

      • Samedi 7 Novembre 2015 à 14:10

        Oui, tu me retrouves là bien égale à moi-même n'est-ce pas ?

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