• Noël au Sahara : coucher de soleil sur les sables


            Cependant, nous n'avons pas mangé de la journée, et nous sentons un peu inquiets : c'est bien ce soir, Noël ?...Comme si ce village avait un air de Noël ! Nous sommes arrivés là en plein paradis estival. Les palmiers s'élèvent, enivrés, vers un ciel d'azur soutenu et un soleil éclatant. L'absence totale de vent crée un microclimat délicieux. Nos bras restent nus et les lunettes de soleil s'avèrent indispensables.

        On paresse, on n'a pas envie de quitter le village... Nous préférons nous intéresser aux curiosités locales : une mosquée miniature toute en glaise rouge, et des toilettes publiques sidérantes édifiées en vue d'une récolte d'engrais. Nous en reverrons par la suite, de ces trônes élevés à un mètre cinquante de hauteur auxquels on accède par une petite échelle dressée entre des palissades de forme pyramidale, et sous lesquels régulièrement les autochtones viennent récupérer la fiente nécessaire à leurs cultures ! En ce qui nous concerne, le siège exposé aux regards ne nous inspire guère, et nous rions de l'emplacement choisi pour une telle construction, en plein carrefour, non loin de la ravissante mosquée dont la porte très basse est encadrée par deux vieillards en large robe qui devisent.
     

    Noël au Sahara : coucher de soleil sur les sables


        La palmeraie nous retient quelque temps, pour une sieste ombragée aux côtés d'un ânon intrigué. Mais hélas notre appétit est vite déçu par les dattes, dont ce n'est décidément pas la saison. Autant manger des racines... Le lavoir nous amuse, avec l'étonnant monument qui se dresse devant : nous n'en connaîtrons pas la signification, en forme de bouclier renversé, et tout d'argile rouge lui aussi.
        Il me prend l'envie d'aller me dégourdir les jambes à l'extérieur : après tout, quitterons-nous le désert sans y avoir marché à pied ? La tentation est trop forte. Je m'esquive, grisée par un sentiment d'aventure qui ne me pénètre vraiment que dans la solitude : c'est le moment où jamais !
        Je redescends du village par la voie sableuse et reprends la piste par laquelle nous sommes arrivés. Les falaises alentour sont superbes.
    Bientôt, mes regards sont de nouveau attirés par les pierres qui jonchent le sol. Leur bizarrerie m'est si irrésistible que je me prends à les ramasser, comme les gamins sur les plages. Je suis persuadée de rencontrer de grosses bûches qui baignaient ici autrefois dans les eaux d'un grand lac, vers l'ère secondaire... Je trouve même des coquillages ; ou qui sait, des restes de coraux ?
        Eh bien non, ce n'est pas vraiment la solitude ! Mahmoud se balade en tous sens avec sa voiture, jouant au cascadeur sur les pentes dangereuses. Le voici bientôt qui me rejoint pour me proposer un tour de promenade ! Je décline poliment : franchement, la matinée m'a suffi, et je marche trop peu à l'ordinaire pour ne pas profiter à plein de l'occasion qui m'est offerte. D'autres semblent moins difficiles, et s'amusent comme des fous dans la voiture transformée momentanément en nacelle de fête foraine. Grand bien leur fasse ! me dis-je, prenant mon parti des bruits intempestifs et de la compagnie peu décorative qui m'est imposée : j'aurais dû partir plus tôt afin de m'en aller plus loin, voilà tout...

    Noël au Sahara : coucher de soleil sur les sables


     
        Je presse le pas pour sortir du cirque de falaises figuré par le site de Tinjillet, suivant le chemin juste délimité par les traces de véhicules : au-delà, la vaste étendue me tend les bras, vers le large où les palmiers se font plus rares.
        Me perdrai-je dans cette étrange mer asséchée où les débris de végétaux fossilisés semblent surnager sur le sol même ?... Non, ce n'est pas possible : partout des repères se présentent, depuis la permanence des hauts monticules là-bas qui indiquent le sud-ouest, jusqu'au paysage rassurant derrière moi de la petite anse presque identique aux criques bretonnes de mon enfance.
        Après deux kilomètres de marche rêveuse où je m'imagine à mille milles de toute région habitée, j'atteins une sorte de palmeraie miniature enclose dans des palissades de joncs.
        Ne serait-il pas temps de rentrer ? Allons, l'étendue devant moi ne présente plus rien de bien séduisant, et le soleil qui descend est d'une permanence qui fatigue à la longue. Je reviens sur mes pas, sans grande hâte.
        Déjà l'air fraîchit, le soir tombe. En retrouvant le couvert de la maison qui nous est prêtée, je remets avec plaisir un lainage mais remarque avec désappointement que, de dîner, il n'est toujours pas question.
        Sur les hauteurs qui dominent le village, mes camarades se promènent toujours. Après tout, c'est joli aussi par là... Pourquoi n'ai-je pas songé à y monter ? A l'extrême droite, resplendit le ksar que nous avions ce matin découvert par le haut. Vivement, je m'efforce de gravir la colline mi-rocheuse mi-sableuse, aux reflets mauves, qui s'offre à moi. Soudain, m'élevant au-dessus des masses d'ombres, je rencontre l'éclat majestueux du soleil qui s'apprête à se coucher…


       
     
        Le moment est solennel. Il descend derrière les hauts pitons rocheux qui se découpent à l'horizon, noirs comme des squelettes de géants préhistoriques. Un instant la boule de feu semble se poser sur l'horizon. Puis sa disparition se fait avec une grande rapidité. Devenu écarlate sur le ciel aux larges pans orangés, je vois l'astre du jour s'engloutir en quelques minutes, dans une lente immersion qui évoque un navire perdu dont les étranges mâts surnageraient encore… Ou ne serait-ce pas plutôt la Terre qui, telle un navire affrontant la vague, aurait brusquement relevé sa poupe pour nous en dérober la vison ? J'en demeure tout éblouie.

       Ce sera mon premier cadeau de Noël.

    *

        Peu à peu la nuit tombe. La faim me tenaille de plus en plus. Je rejoins le groupe dans la maison. Un arabe agenouillé en robe brune et coiffé d'un grand chèche vert a disposé le nécessaire pour nous servir le thé en guise d'apéritif. Il n'en finit pas d'oxygéner le breuvage à grands renforts de transvasements successifs et de bulles éliminées dans un « verre à déchets »... Dîner n'est pas possible pour le moment : il faut aux villageois qui ne l'ont pas prévu le temps de réunir le nécessaire ; et puis il faudra encore attendre que soit passée la prière du soir.
        Après la collation, nous sortons donc de nouveau. Et c'est pour découvrir avec stupéfaction l'immensité du ciel qui revêt à présent une apparence extraordinaire…
        Il nous semble être sous une toile de tente. Sur l'infini d'un noir d'encre, un tapis de petites étincelles blanches moutonne autour de nous comme une pluie de paillettes d'or sous une cloche refermée. Comme nous sommes petits ! Comme notre horizon est petit ! Je songe à la coupole d'un planétarium. Mais non, cette voûte-ci paraît tellement plus vivante, plus souple, vaporeuse au souffle de l'atmosphère, et satinée, veloutée, avec sa couleur violine profond qui soulève l'âme en effrayant le cœur ! Je frémis, comme si l'immensité menaçait de m'engloutir. J'ai l'impression d'être sur un vaisseau spatial, en plein cœur du cosmos, tant l'Univers semble présent... Le mince caillou qui me porte me semble susceptible de m'abandonner à tout moment, et même la notion d'une atmosphère qui m'enveloppe et me nourrit m'apparaît ici d'une fragilité extrême... Celui qui a dressé cette tente, n'est-ce pas Dieu lui-même ? Et pour nous Il l'a dressée, aussi fragile que magnifique, avec ces millions d'étoiles qui miroitent comme des clous rivés sur nos têtes. Nous sommes ses hôtes pour ce soir. Que la gratitude nous étreigne…

        Ce sera mon second cadeau de Noël.

    *

        Enfin l'heure du repas semble sonnée. Nous nous précipitons : n'est-ce pas le réveillon ? Hélas ! Il n'y a presque rien à manger...
        Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, nous partageons en plaisantant le maigre plat de semoule aux légumes qui nous est présenté. Marie et Joseph furent-ils mieux servis, à Bethléem ? En notre honneur cependant, le maître de maison a étendu des tapis sur le sol de la pièce principale, afin d'en améliorer le confort pour notre sommeil. Puis il ajoute :
        - Si vous le désirez, vous pouvez dormir dans ma cave.
        Qu'est-ce donc que cette « cave » ? Cédant à la curiosité, je découvre un vaste tunnel en U qui prolonge l'habitation vers le cœur de la falaise ; très fruste, avec un plafond plutôt bas, elle présente des recoins tapissés de sable où l'on peut s'allonger confortablement. Rejetant une pointe d'angoisse devant son atmosphère saturée d'humidité et de poussière je jette mon dévolu sur une petite loggia taillée en pleine roche dont la finalité évoque autant la réserve à nourriture que l'alcôve de la courtisane. Des couvertures sont d'ailleurs déjà disposées sur l'épaisse couche sableuse et, n'était cette âcre odeur qui en écarte plus d'un, on imaginerait aisément ce coin comme un petit paradis d'amour... Je m'y sens bien. Au moins, je sais que je n'y aurai pas froid.
        Lorsque je m'y suis allongée, bien enveloppée dans mon duvet, c'est réellement un nid très douillet... Et je m'abandonne aux songeries les plus merveilleuses. Oui, je suis dans la matrice même de la terre ! Oui, c'est de cette façon qu'est né le Christ : des entrailles d'une grotte au désert, ouvrant sur la féerie du ciel nocturne ! Et les ailes des anges, c'étaient ces étoiles ! Et l'âne et le bœuf, ces êtres aimants qui nous protègent !... Il me semble vivre une initiation.

        Ce sera mon troisième cadeau de Noël.


       À suivre ici
     
     
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  • Commentaires

    1
    Dimanche 25 Décembre 2005 à 12:00
    Je te fais un gros bisous d'amitiéjoyeux noëlFlo
    2
    Jeudi 16 Novembre 2017 à 15:49

    J'ai adoré relire ton voyage, il est très bien écrit et bien représentatif de ces oasis que tu as traversées. Un beau souvenir je suis sûre même s'il est un peu lointain. Merci en tous cas. Bises

      • Jeudi 16 Novembre 2017 à 17:35

        Merci Danaé, de ta présence attentive. Moi aussi j'aime me replonger dans ces souvenirs.



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