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          Dans les années 60, France III devenue bientôt France Culture diffusait les dimanches après-midi des "pièces radiophoniques" qui étaient souvent de véritables bijoux de profondeur. C'est ainsi que l'on put en entendre une qui s'intitulait "Les Cinq Secondes du Mahatma Gandhi", et qui décrivait par le menu tout ce que Gandhi - unique récitant - avait pu ressentir et percevoir durant les cinq secondes que mit la balle lancée contre lui pour traverser son cœur... À chacune d'elles, une douleur, et un grand pan de sa vie qui se déroule ; mais à la cinquième il n'y a plus que cet appel : "Ô Toi dans la Lumière" qui se développe en une prière magnifique.

     

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    Image puisée sur ce blog.

     

         Si quelqu'un possède un enregistrement de cette pièce, ou connaît un moyen de la retrouver, je lui en saurai gré.

     

       Aujourd'hui, après avoir achevé la lecture du livre très inspirant que Frédéric Lenoir a produit avec Marie Drucker sous la forme d'une conversation, "Dieu", je voudrais vous en citer un passage, qui est en fait la citation que fait Frédéric Lenoir lui-même du grand mystique musulman Rumi (1207-1273) dans son oeuvre le Diwân (un long poème de 40.000 vers).

        À cette occasion - et en conclusion de l'ouvrage d'ailleurs -, le chercheur constate que les religions ne sont que des échelles édifiées pour mener au même point : celui où le pratiquant découvre que la voie est à l'intérieur de lui, dans un simple dialogue avec ce qui est perçu comme "La Lumière" ; si bien que l'on peut établir un parallèle entre les mystiques de toutes les cultures, qui convergent vers le même discours.

     

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     Rumi

     

         «  Que faut-il faire, ô musulmans ? Car je ne me reconnais pas moi-même. Je ne suis pas chrétien, pas juif, pas parsi, pas musulman. Je ne suis ni de l'est ni de l'ouest, ni du sol ferme ni de la mer.  Je ne suis pas de l'atelier de la nature, ni des cieux tournants. Je ne suis pas de la terre, ni de l'eau, ni de l'air, ni du feu. Je ne suis pas de la cité divine, pas de la poussière, pas de l'être, ni de l'essence. Je ne suis pas de ce monde et pas de l'autre, pas du paradis ni de l'enfer. Je ne suis pas d'Adam ni d'Ève, ni de l'Éden ou des anges de l'Éden. Mon lieu est le sans-lieu, ma trace ce qui ne laisse pas de trace ; ce n'est ni le corps ni l'âme, car j'appartiens à l'âme du Bien-Aimé. J'ai abdiqué la dualité, j'ai vu que les deux mondes sont un. C'est Un que je cherche, Un que je contemple, Un que j'appelle. Il est le premier, il est le dernier, les plus extérieur et le plus intérieur. Je ne sais rien d'autre que "Ô Lui" et Ô Lui Qui Est". Je suis enivré par la coupe de l'amour, les mondes ont disparu de mes regards ; je n'ai d'autres affaires que le banquet de l'esprit et la beuverie sauvage. »

     

     

     

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  •     On a souvent entendu parler de l'Éveil comme d'une Félicité suprême, ce qui nous pousse à le confondre avec l'extase "mystique". Mais l'extase est, comme on le sait également, le fruit d'une montée d'énergie vers le cerveau, énergie basique puisqu'elle part de la base de notre corps et est donc d'origine sexuelle - transmutée il est vrai.
     

        C'est ainsi que certains observateurs ont pu douter de la qualité de l'extase de Thérèse d'Avila, telle qu'elle l'exprime dans le paragraphe de sa vie qui a inspiré la sculpture du Bernin, extase pourtant marquée très explicitement par l'explosion de l'énergie au niveau du Cœur.

     

    Sainte Thérèse d'Avila, Le Bernin

     

      Dans notre vie pourtant rien ne change et si nous croyons découvrir l'extase à l'âge adulte en pratiquant la méditation, nous pouvons en réfléchissant un peu nous apercevoir que nous l'avions déjà expérimentée tout petits... 

     

    ENFANCE

       Tu pesais sur mes doigts comme un trésor précieux, mon enfant adoré. La nuit s’ouvrait et te recueillait avec mon baiser. Je ne sortais que peu de ton cocon d’argent, et le silence égrenait sur mon cœur des angoisses et des attentes.

      J’étais fil de l’araignée, rosée du bois, le Jour perlait en gouttes à mon front, et je courais par les aubes fraîches à la rencontre de mes saisons.

     Oh ! l’envol de mes après-midi suprêmes où, dans l’asphyxie de mes membres et de ma poitrine, j’expirais, cramponnée à la grille, le baiser immense du crépuscule d’été !

     (Martine Maillard, extrait de "Renaître", éditions Stellamaris)

      

        La fusion fantastique avec le Tout chantée par Isolde à la fin de l'Opéra de Wagner* fut mon opium des années durant. Mais ne s'agit-il pas pourtant tout bêtement de la nostalgie du "retour au sein maternel", soit d'un engloutissement pur et simple dans la matière ?  

          La félicité parfaite que nous pouvons ressentir lors d'une méditation provient de la paix éprouvée et de l'ouverture du coeur. Mais ce n'est qu'une étape. Nous sommes heureux d'oublier notre corps physique, mais nous baignons dans notre corps émotionnel, astral : l'influence de Neptune, le grand "mystique" doit nous rappeler qu'en tant que dieu des mers, Poséidon nous offre une vision trouble des choses.
        Plus haut Zeus, roi du Ciel, (qui se prononce en grec "Djoüs" ce qui a donné en latin Jovis, le "Jus-pater" qu'on appelle Jupiter, mais qui rappelle fortement notre "JE") nous ouvre l'immensité de l'espace : mais c'est encore un espace mental.

         Il faut aller au-delà... 

      


     * Dans l'Opéra "Tristan et Isolde" Wagner est influencé par Schopenhauer et déjà les philosophies orientales ; et dans le texte qu'il a lui-même composé Isolde s'éteint en saluant les vagues délicieuses qui s'emparent d'elle, et en clamant qu'elle se noie, se confond dans l'immense respiration de l'Univers - "Joie suprême" ! (C'est son dernier mot).

     

     


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  •        La nuit portant conseil, j'aimerais apporter aujourd'hui une interprétation nouvelle à cette scène finale des Dialogues de Carmélites de Francis Poulenc présentée et commentée par moi-même hier.

           En effet, j'ai évoqué le fait que ce Chœur des Carmélites était comme un grand corps, dont on entendait disparaître voix après voix, à mesure que chaque tête était tranchée.

           Dans la mesure où je m'interroge sur les significations cachées de cette vision et sur le retentissement qu'elle peut avoir sur nous en profondeur, je comprends qu'il s'agit là d'une sorte d'égrégore* émotionnel, qui dans le cadre d'un effort de libération intérieure prend toute sa dimension.

         Ainsi chaque religieuse abattue tour à tour correspondrait à une émotion, puis à une pensée perturbatrice qui serait éliminée par l'introspection et la volonté de se dominer soi-même. Le sens du mot Révolution est là totalement justifié, car il s'agit de se transformer intérieurement, de s'orienter résolument dans la direction opposée à celle que l'on a toujours suivie jusque là : au lieu de se soumettre à ses désirs, à ses impressions, à ses sensations, il s'agit au contraire de s'y opposer, jusqu'à l'élimination pure et simple.

          Cependant n'y cherchons pas une élimination violente et brutale, à l'instar d'un Bernanos qui évoquait "l'Agonie du Christ", vilaine pensée destinée à terroriser tout un chacun face à la mort (comme face à toute vie spirituelle du même coup) ; non, voyons plutôt là une élimination par amour, telle que Poulenc l'a pressentie en tournant son regard confiant et rempli de ferveur vers la Vierge Marie, la mère parfaite pour tout aspirant au Ciel.

          À l'instar du sirop dont parlait Phène dans son dernier billet,  qui grésille et se débarrasse peu à peu de ses impuretés, ce nuage émotionnel et mental peu à peu s'atténue et perd de sa force tandis que, telles les têtes tranchées pour l'amour du Christ des malheureuses carmélites, sont déposées peu à peu aux pieds du Divin** toutes les émotions, sensations, pensées, perceptions, croyances, désirs, attentes... Car il faut se débarrasser de tout, de tout. Seuls les pauvres entreront au Royaume de Dieu : pauvres, c'est-à-dire dénués d'absolument tout.

         La plus pure de toutes ces pensées est représentée par Sœur Constance. C'est l'Idéal. Notre idéal secret, ce dont on pensait ne jamais pouvoir se séparer tant il nous semblait beau et nécessaire. Ce qui depuis toujours avait été le moteur de notre existence, ce qui nous avait porté même jusqu'ici... Tout doit être donné.

          Lors de la Passion de Jésus ("passion" au sens où il a traversé ce moment sans y opposer la moindre résistance, sans se positionner de façon active mais en laissant s'exprimer la Volonté du Père), le soldats romains se sont partagé ses vêtements et ont tiré au sort sa tunique. De ce qui le recouvrait il n'est rien resté.

          De même ici, du groupe de carmélites il ne reste rien, comme d'un vêtement qui peu à peu se serait volatilisé par coupes successives.

           ... Rien, SAUF : celle que Constance a réveillée d'un regard ; perdue dans la foule (une sorte de brouillard ou d'aveuglement ?). Blanche est l'héroïne ; donc le "je".

           Quand le mental a été totalement vidé, il ne reste que la conscience de soi, l'ego. C'est Blanche, Blanche dont l'acceptation est déjà tangible comme je le disais dans l'article précédent car elle sait, elle sait déjà qu'elle n'existe pas. "Blanche" veut dire absente ; traversée par le regard comme un fantôme. 

         De la Force... N'a-t-elle pas en elle connaissance de sa filiation réelle ? N'est-elle pas fille de la Force divine ?

          Alors elle n'a plus qu'à s'y rendre ; à s'y abandonner ; comme Jésus s'abandonnant à son Père et disant "Tout est accompli".

          C'est donc la dernière à s'offrir à l'élimination, sans émotion ni douleur, sans les pleurs et les larmes associées au Salve Regina, mais dans la paisible évidence de la strophe finale qui évoque la Trinité Père, Fils et Esprit : Ce-Qui-Est

     

                            À Lui, Gloire pour les siècles des siècles.

     

     Bouddha céleste

     


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           Aujourd'hui, c'est Khalil Gibran que je citerai, car le moment est venu pour moi de lire enfin le Prophète, que je gardais dans ma bibliothèque depuis de si longues années.
     

     

    Un Cormoran sur la statue de Sainte-Geneviève-Paris

     

     

         Et je citerai d'abord son premier propos ; celui qui concerne l'Amour.

     

    Alors al-Mitra dit : Parle-nous de l'Amour.

    Il leva la tête et regarda la foule sur laquelle un grand silence s'était abattu. D'une voix assurée, il dit :
    Quand l'amour vous fait signe, suivez le,
    Bien que ses chemins soient raides et ardus.
    Et quand  il vous enveloppe de ses ailes, cédez-lui,
    Même si l'épée cachée dans ses pennes vous blesse.
    Et quand il vous parle, croyez en lui,
    Même si sa voix brise vos rêves comme le vent du nord dévastant un jardin.

    Car si l'amour vous couronne, il vous crucifie aussi. Et s'il est pour votre croissance, il est aussi pour votre élagage.
    De même qu'il s'élève à votre hauteur pour caresser vos plus tendres branches frémissant dans le soleil,
    Il descend jusqu'à vos racines et les secoue de leur adhérence à la terre.
    Telles des gerbes de blé, il vous ramasse et vous serre contre lui.
    Il vous vanne pour vous dénuder.
    Il vous tamise pour vous libérer de votre enveloppe.
    Il vous pile jusqu'à la blancheur.
    Il vous pétrit jusqu'à vous rendre malléables ;
    Puis il vous assigne à son feu sacré, afin que vous deveniez pain sacré au festin sacré de Dieu.
    Tout cela, l'amour vous le fait subir afin que vous connaissiez les secrets de votre cœur et, au travers de cette connaissance, deveniez fragment du cœur de la Vie.

    Mais si, pusillanimes, vous ne recherchiez que la paix de l'amour et sa volupté,
    Mieux vaudrait pour vous couvrir votre nudité et sortir de l'aire de l'amour,
    Pour pénétrer dans le monde sans saisons en lequel vous rirez, mais pas de tout votre rire, et pleurerez, mais pas de toutes vos larmes.

    L'amour ne donne que de lui-même et ne prend que de lui-même.
    L'amour ne possède pas et ne saurait être possédé.
    Car l'amour suffit à l'amour.

    Lorsque vous aimez, vous ne devriez pas dire : « Dieu est dans mon cœur », mais plutôt : « Je suis dans le cœur de Dieu ».
    Et ne croyez pas qu'il vous appartienne de diriger le cours de l'amour car c'est l'amour, s'il vous en juge dignes, qui dirigera le vôtre.

    L'amour n'a d'autre désir que de s'accomplir.
    Mais si vous aimez et ne pouvez échapper aux désirs, qu'ils soient ceux-ci :
    Vous dissoudre et être comme l'eau vive d'un ruisseau chantant sa mélopée à la nuit,
    Connaître la douleur d'une tendresse excessive,
    Recevoir la blessure de votre conception de l'amour, 
    Perdre votre sang volontiers et avec joie,
    Vous réveiller aux aurores, le cœur ailé, et rendre grâce pour une nouvelle journée d'amour, 
    Vous reposer à l'heure du méridien et méditer l'extase de l'amour,
    Revenir à votre foyer le soir avec gratitude, 
    Puis vous endormir avec au cœur une prière pour l'être aimé et sur vos lèvres un chant de louange.

     

    Gallimard, Traduction d'Anne Wade Minkowski

      Parsifal-Syberberg-Scène du Graal

     


    Parsifal, scène du Graal, extrait

     

     


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           Voici une phrase du grand poète et mystique soufi Al Hallâj (858-922), qui à elle seule exprime tout ce que les grands saints, de quelque religion ou culture qu'ils soient, ont vécu ou manifesté.

     



    Al Hallaj - mystique soufi

     

    « Ô gens, quand la Vérité s’est emparée d’un cœur, Elle vide tout ce qui n’est pas Elle. Quand Dieu s’attache à l’homme, Il tue en lui tout ce qui n’est pas Lui. »

     

         Que vous interrogiez la vie de François d'Assise, de Rûmî ou de Ramana Maharshi, vous ne trouverez que cette évidence.

            À quoi bon alors débattre sur telle ou telle vision de la voie spirituelle ? Toutes conduisent au même but, au but unique : Cela, que vous appelez du nom que vous voulez (aussi bien neutre, que féminin ou masculin)...

     

     

     


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