• Mon Voyage en Afrique noire - 15

     

    Fin du séjour à Mopti


        Notre situation devenait difficile : nous n'avions plus un sou en poche, et pas une banque ne pratiquait le change à Mopti !  Nous interrogeâmes en vain les passants, et surtout le propriétaire du bateau amarré qui nous servait d'hébergement.
        Celui-ci ne sembla pas très conciliant et s'énerva lorsque nous lui proposâmes de le payer en francs français (la monnaie en usage était le "franc CFA")... Heureusement pour nous, un ange gardien entendit la conversation, sous la forme d'un négociant aisé qui passait par là. Encore une fois, quelle gentillesse ! Portions-nous notre honnêteté sur notre visage ? Toujours est-il qu'il convainquit l'hôtelier de nous garder encore une nuit, en lui payant notre hébergement, et nous offrit de surcroît un beau billet de sa poche, avec ces indications :
        - "Pour rentrer sur Abidjan, la meilleure solution est que vous vous rendiez au motel qui est installé à quelque distance de la ville, au bord de la route nationale. Là, vous trouverez beaucoup d'européens propriétaires de voitures, et sans doute l'un d'eux acceptera-t-il de vous reconduire. Une fois à Abidjan, rendez-vous à la banque [X], où j'ai un compte ; vous pourrez y retirer de l'argent au bureau de change, et vous me rembourserez... "
        Nous nous répandîmes en remerciements ; mais je commençais à me faire sérieusement du souci : car si nous n'avions plus de liquide, c'est aussi que nous avions dépassé nos capacités de dépense sur place !
        Je commençais à me sentir perdue, un peu comme une mendiante ou une SDF... De plus je souffrais de plus en plus au niveau des chevilles, de blessures étranges dues à la démangeaison. En effet, je portais des petites sandales à lanières de cuir lacées qui dégageaient complètement le pied, et au Mali, il sévissait un genre de moustique moins dangereux certes que celui des régions humides, mais très petit et à la piqûre quasiment microscopique. Comme je me badigeonnais encore le corps de citronnelle, mes chevilles, à l'instar du talon d'Achille, n'étaient apparemment
    pas assez protégées, et ces insectes imperceptibles m'y avaient infligé d'infimes lésions, que je me grattais en glissant sur la sueur abondante engendrée par la forte chaleur. Là-dessus la poussière de sable s'introduisant dans les écorchures toujours renouvelées y avait créé une infection creusant dans ma chair des stries profondes. Cela me piquait comme une blessure mais aussi m'inquiétait beaucoup.

    Mon Voyage en Afrique noire - 15

     
        C'est ainsi que nous gagnâmes à pied le motel, bien moderne et jurant avec le caractère local, et que nous tentâmes d'amadouer le patron. Celui-ci accepta de nous laisser dormir gratuitement dans un couloir, mais à la condition expresse que nous attendions que tous ses résidents soient couchés, afin que personne ne nous voie... C'était bien la moindre des choses !
        Je ne sais plus comment, nous rencontrâmes aussi un couple de coopérants(1) en voyage touristique depuis la Côte d'Ivoire,
    qui revenaient de Tombouctou. Le mari était propriétaire d'une grosse voiture noire, et la femme était arrivée par avion, étant enceinte de quatre mois. Le fait que je sois moi aussi enceinte attendrit celle-ci, et elle obtint de son mari qu'il nous raccompagne à Abidjan le lendemain, tandis qu'elle-même reprenait l'avion, par égard pour sa grossesse.
        Ainsi fut dit. Nous devions être éveillés pour cinq heures afin de partir au plus tôt. Tandis que les pensionnaires dînaient, l'hôtelier nous fit asseoir dans un coin de son hall.

        Ce fut le moment le plus triste du voyage... Je pensais à ces gens aisés, qui vivaient tranquillement et confortablement ; et nous, assis dans notre coin, nous n'avions plus rien, nous ne pouvions plus que quémander auprès des autres...
        J'avais faim. Je me mis à pleurer sur l'épaule de Robert. C'est alors qu'apparut un maître d'hôtel portant un plateau sur lequel trônaient deux verres de champagne, voisinant avec deux assiettes garnies d'une tranche de rôti froid chacune. Confuse, je séchai mes larmes, tandis que Robert demandait :
        - "Nous n'avons rien commandé ! Il y a erreur !"
        Le maître d'hôtel répondit :
        - "C'est une dame de la salle qui vous l'offre."
        Un sourire radieux éclaira mon visage. Du champagne ! Quelle délicatesse ! Elle ne nous traitait pas en mendiants, mais semblait au contraire vouloir trinquer avec nous.
        Du plus triste moment, cela devint le plus émouvant. Avec quel délice ai-je dégusté cette tranche de viande froide, ce pétillant champagne ! Avec quelle effusion avons-nous recommandé au serveur de remercier notre bienfaitrice !... Plusieurs fois dans ma vie, j'ai pu expérimenter cette grande vérité : "Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés..."

    Mon Voyage en Afrique noire - 15


    (1) "Coopérant" : français travaillant en Afrique pour y exécuter une mission précise. C'étaient souvent des fonctionnaires payés au double de leur équivalent de métropole.
     
     
    Et enfin voici le dernier épisode de ce récit ici.
     
     
     
    « Au seuil du silenceA la mémoire d'un Yogi »

  • Commentaires

    1
    Vendredi 30 Juin 2006 à 12:00
    ÇA, c'est du positif !Les voyages forment la jeunesse et consolident les chevilles (même celles des femmes enceintes.)Très bon récit Martine !
    2
    Lundi 9 Janvier 2017 à 18:28

    Je crois que les gens dans ces pays sont plus accueillants que les français !

      • Lundi 9 Janvier 2017 à 19:17

        Mais c'étaient des français ! Seulement oui, ils ne vivaient pas en France : ça change tout en effet.

    3
    Mardi 10 Janvier 2017 à 19:16

    Une dame bienveillante qui a permis de sécher tes larmes...

      • Mardi 10 Janvier 2017 à 19:52

        Vraiment pleine de coeur, cette dame. Surtout que nous ne la revîmes même pas pour la remercier, puisque de là elle prenait l'avion et nous avait confiés à son mari qui rentrait sur Abidjan en voiture.

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