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Les sept épées
Ce soir, encore une citation d'un de mes poètes préférés (si ce n'est de "mon" poète préféré)... : Apollinaire, un extrait de sa "Chanson du Mal Aimé", qui est un des sommets de la poésie française.
Ce n'est pas à Léo Ferré, cette fois, que je l'associe ; car si Léo dans sa jeunesse a remarquablement interprété le Pont Mirabeau, et si ensuite ses interprétations de Baudelaire, Verlaine, Rimbaud et Aragon sont des chefs d'oeuvre, par contre dans sa dernière période il a très mal réussi (à mon sens!) "Le Bateau Ivre" et "La Chanson du Mal Aimé". Il a donné trop de valeur à chaque mot, chaque note, a compliqué l'orchestration, ce qui alourdit le texte et le détourne de sa finalité première.
Non, dans sa forme mi-déclamée, mi-chantée, c'est Jacques Castérède, musicien français trop peu connu de notre siècle, qui l'a le mieux mise en valeur dans les années 60 : et bienheureuses sont les personnes qui possèdent un enregistrement de ce merveilleux concert avec Jean Negroni, récitant plein de fougue, et Camille Maurane, baryton élégiaque, plus un délicieux choeur de femmes, et - trouvaille insigne - un accordéon très chantant, qui fait rêver les cours de Paris sur un rythme de valse mélancolique...
LES SEPT ÉPÉES
La première est toute d'argent
Et son nom tremblant c'est Pâline
Sa lame un ciel d'hiver neigeant
Son destin sanglant gibeline
Vulcain mourut en la forgeant
La seconde nommée Noubosse
Est un bel arc-en-ciel joyeux
Les dieux s'en servent à leurs noces
Elle a tué trente Bé-Rieux
Et fut douée par Carabosse
La troisième bleu féminin
N'en est pas moins un chibriape
Appelé Lul de Faltenin
Et que porte sur une nappe
L'Hermès Ernest devenu nain
La quatrième Malourène
Est un fleuve vert et doré
C'est le soir quand les riveraines
Y baignent leurs corps adorés
Et des chants de rameurs s'y traînent
La cinquième Sainte-Fabeau
C'est la plus belle des quenouilles
C'est un cyprès sur un tombeau
Où les quatre vents s'agenouillent
Et chaque nuit c'est un flambeau
La sixième métal de gloire
C'est l'ami aux si douces mains
Dont chaque matin nous sépare
Adieu voilà votre chemin
Les coqs s'épuisaient en fanfares
Et la septième s'exténue
Une femme une rose morte
Merci que le dernier venu
Sur mon amour ferme la porte
Je ne vous ai jamais connue
Guillaume Apollinaire
Extrait de "La Chanson du Mal Aimé"
Admirez la richesse verbale, admirez l'inventivité extraordinaire, admirez la beauté des rimes et l'évolution progressive du ton, depuis l'éclatant jusqu'au nostalgique... Cet extrait, quoique ayant son unité propre, a sa raison d'être au sein de l'ensemble et ne mérite pas à vrai dire d'en être séparé. Vous pouvez lire la totalité de l'oeuvre ici.
On y sent l'errance du poète qui, au gré de ses souvenirs et divagations, éprouve parfois le besoin de créer quelques strophes de fantaisie, comme des parenthèses dans une toile de fond désespérée afin d'exorciser sa peine. Pour souligner cette diversité et rythmer l'oeuvre, Jacques Castérède fait alterner la voix chantée et la voix parlée de manière très expressive ; et la magnifique strophe " Voie lactée, ô soeur lumineuse"qui revient périodiquement comme une incantation pour chasser les mauvais rêves (ici juste après l'extrait cité), il la confie à un suave choeur de femmes, comme descendu du ciel... Puissiez-vous l'entendre un jour.
Jacques Castérède fête cette année ses 80 ans.
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Commentaires
1rolandLundi 12 Septembre 2011 à 12:00j'aime beaucoup ce poème, je le connais par coeur, et me le récite parfois pour le plaisir.Répondre
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