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Par Aloysia* le 24 Mars 2006 à 12:00
Et voici maintenant un poème de Théophile Gautier (1811-1872), merveilleusement mis en musique par Hector Berlioz (1803-1869) dans "Les Nuits d'Été" : le Spectre de la Rose.
Soulève ta paupière close
Qu'effleure un songe virginal ;
Je suis le spectre d'une rose
Que tu portais hier au bal.
Tu me pris encore emperlée
Des pleurs d'argent de l'arrosoir,
Et parmi la fête étoilée
Tu me promenas tout le soir.
Ô toi qui de ma mort fus cause,
Sans que tu puisses le chasser
Toute la nuit mon spectre rose
A ton chevet viendra danser.
Mais ne crains rien, je ne réclame
Ni messe, ni De Profundis ;
Ce léger parfum est mon âme
Et j'arrive du paradis.
Mon destin fut digne d'envie :
Et pour avoir un sort si beau,
Plus d'un aurait donné sa vie,
Car sur ton sein j’ai mon tombeau,
Et sur l'albâtre où je repose
Un poète avec un baiser
Écrivit : « Ci-gît une rose
Que tous les rois vont jalouser. »Le Spectre de la Rose dans sa version chorégraphique
Écoutez ici l'intégralité de la mélodie par Véronique Gens, accompagnée par l'orchestre de l'Opéra de Lyon dirigé par Louis Langrée.
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Par Aloysia* le 11 Avril 2006 à 12:00Ce soir, encore une citation d'un de mes poètes préférés (si ce n'est de "mon" poète préféré)... : Apollinaire, un extrait de sa "Chanson du Mal Aimé", qui est un des sommets de la poésie française.
Ce n'est pas à Léo Ferré, cette fois, que je l'associe ; car si Léo dans sa jeunesse a remarquablement interprété le Pont Mirabeau, et si ensuite ses interprétations de Baudelaire, Verlaine, Rimbaud et Aragon sont des chefs d'oeuvre, par contre dans sa dernière période il a très mal réussi (à mon sens!) "Le Bateau Ivre" et "La Chanson du Mal Aimé". Il a donné trop de valeur à chaque mot, chaque note, a compliqué l'orchestration, ce qui alourdit le texte et le détourne de sa finalité première.
Non, dans sa forme mi-déclamée, mi-chantée, c'est Jacques Castérède, musicien français trop peu connu de notre siècle, qui l'a le mieux mise en valeur dans les années 60 : et bienheureuses sont les personnes qui possèdent un enregistrement de ce merveilleux concert avec Jean Negroni, récitant plein de fougue, et Camille Maurane, baryton élégiaque, plus un délicieux choeur de femmes, et - trouvaille insigne - un accordéon très chantant, qui fait rêver les cours de Paris sur un rythme de valse mélancolique...
LES SEPT ÉPÉES
La première est toute d'argent
Et son nom tremblant c'est Pâline
Sa lame un ciel d'hiver neigeant
Son destin sanglant gibeline
Vulcain mourut en la forgeant
La seconde nommée Noubosse
Est un bel arc-en-ciel joyeux
Les dieux s'en servent à leurs noces
Elle a tué trente Bé-Rieux
Et fut douée par Carabosse
La troisième bleu féminin
N'en est pas moins un chibriape
Appelé Lul de Faltenin
Et que porte sur une nappe
L'Hermès Ernest devenu nain
La quatrième Malourène
Est un fleuve vert et doré
C'est le soir quand les riveraines
Y baignent leurs corps adorés
Et des chants de rameurs s'y traînent
La cinquième Sainte-Fabeau
C'est la plus belle des quenouilles
C'est un cyprès sur un tombeau
Où les quatre vents s'agenouillent
Et chaque nuit c'est un flambeau
La sixième métal de gloire
C'est l'ami aux si douces mains
Dont chaque matin nous sépare
Adieu voilà votre chemin
Les coqs s'épuisaient en fanfares
Et la septième s'exténue
Une femme une rose morte
Merci que le dernier venu
Sur mon amour ferme la porte
Je ne vous ai jamais connue
Guillaume Apollinaire
Extrait de "La Chanson du Mal Aimé"
Admirez la richesse verbale, admirez l'inventivité extraordinaire, admirez la beauté des rimes et l'évolution progressive du ton, depuis l'éclatant jusqu'au nostalgique... Cet extrait, quoique ayant son unité propre, a sa raison d'être au sein de l'ensemble et ne mérite pas à vrai dire d'en être séparé. Vous pouvez lire la totalité de l'oeuvre ici.
On y sent l'errance du poète qui, au gré de ses souvenirs et divagations, éprouve parfois le besoin de créer quelques strophes de fantaisie, comme des parenthèses dans une toile de fond désespérée afin d'exorciser sa peine. Pour souligner cette diversité et rythmer l'oeuvre, Jacques Castérède fait alterner la voix chantée et la voix parlée de manière très expressive ; et la magnifique strophe " Voie lactée, ô soeur lumineuse"qui revient périodiquement comme une incantation pour chasser les mauvais rêves (ici juste après l'extrait cité), il la confie à un suave choeur de femmes, comme descendu du ciel... Puissiez-vous l'entendre un jour.
Jacques Castérède fête cette année ses 80 ans.
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Par Aloysia* le 8 Novembre 2006 à 12:00
En revenant de Châteauroux ce matin, j'ai rencontré un âne. Et comme chaque fois, j'ai craqué... Les ânes sont si doux, si attachants ! Certains de mes amis en possèdent, et ils les adorent : ce sont comme des animaux de compagnie.
Celui-ci, quoique terrorisant mon chien qui est parti en jappant comme s'il avait vu un monstre, m'a rappelé un beau poème de mon enfance, l'un de mes préférés :
J'aime l'âne si doux
Marchant le long des houx.
Il prend garde aux abeilles
Et bouge ses oreilles ;
Il va près des fossés
D'un petit pas cassé.
Il réfléchit toujours :
ses yeux sont de velours.
Il a tant travaillé
Que ça vous fait pitié !
Il a bien fatigué
Ses pauvres petits pieds.
(...)
Il est l'âne si doux
Marchant le long des houx...
Francis Jammes fut longtemps mon poète préféré : ses textes m'ont toujours émue.
***
J'aime les ânes, oui, mais à condition de ne pas cohabiter avec eux !
En effet, ne me rappelez pas mes déboires de l'été 1972, où toute jeunette je me suis avisée de faire du camping sauvage dans un pré cévenol occupé par deux ânes (des "croisés", ceux-là : oui, avec leur croix sur le dos, ils furent pour moi un vrai calvaire !) : où que je la cache, ils trouvaient toujours le moyen de "brouter" ma demi-livre de beurre (jusque dans les branches), et un matin, ils avaient même brouté les manches de mon pull... !
Damned !! Mais ce n'étaient pas des "Grands Noirs du Berry" : c'étaient des petits coquins, des "gris de Provence" - qui faisaient bien rire leur propriétaire, hihihi ! (han...)
Mes tortionnaires...En guise d'illustration sonore à cette évocation des ânes,
je ne pouvais manquer de rappeler ici la charmante
pièce pour piano de Jacques Ibert intitulée
Le Petit Ane Blanc, tirée du recueil"Histoires".
En voici le début interprété par Hae Won Chang (disque Naxos).
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Par Aloysia* le 1 Janvier 2007 à 12:00Sabine Sicaud
Je veux rappeler ici la mémoire d'une enfant merveilleuse, d'une enfant prodige, que nul ne connaît si ce n'est peut-être le possesseur comme moi de cette "Anthologie des Poètes contemporains" en 5 volumes de Pascal Bonetti, paru chez Delagrave en 1959.
...Et pourtant, si ! Toi, tu en parles, Frenchpeterpan mon ami ! Et d'après toi il y aurait un livre, des livres peut-être, à son sujet ? Et lorsque je consulte son nom sur Google, les sites pleuvent, comme celui-ci... Alors, bientôt, elle sera notre Rimbaud féminin.
Cette enfant espiègle née près de Villeneuve-sur-Lot en 1913 était une amoureuse de la vie dont le talent poétique allait, dès ses onze ans, se voir couronné du Prix du jasmin d'Argent, à Agen en 1924. En 1925, ce fut la Comtesse de Noailles qui la remarqua, lui décernant pour ses "poèmes d'enfant", le Grand Prix des Jeux Floraux.
Hélas, pour une pauvre égratignure à la jambe, elle devait succomber peu après à une gangrène généralisée que nul ne sut guérir à l'époque, laissant des textes si déchirants que l'on en reste bouleversé.
Je vous livre aujourd'hui deux de ses poèmes "heureux". Il semblerait que l'on ait eu du mal à accepter, au départ, que ces poèmes si achevés et d'une telle maturité de pensée fussent bien d'elle...!
* * *La main des dieux, tu peux refuser de la prendre.
La main du mendiant, tu peux aussi.
Toutes les mains qui frôleront la tienne,
Tu peux les oublier.
La main de ton ami, ferme les doigts sur elle,
Et serre-la si fort que le sang de ton cœur
Y batte avec le sien au même rythme.
Et que m’importe la coque de ton âme,
qu’elle soit jeune ou vieille, épaisse ou fine ;
que l’on t’appelle un homme ou une femme,
que tu sois une cloche, un gong ou le grelot
d’une source invisible,
j’entendrai bien le son.
(Extrait des cahiers de Sabine Sicaud)LA CHÂTAIGNE
Peut-être un hérisson qui vient de naître ?
Dans la mer ce serait un oursin, pas bien gros…
Ici, la boule d’un chardon - peut-être –
Ou le pompon sournois d’une bardane
Ou d’un cactus ? mais non, dans le bois qui se fane,
Dans le bois sans piquants, moussu, discret et clos,
Cette chose a roulé, subitement, d’en haut,
Comme un défi… Parmi les feuilles qui se fanent.
Allez, j’ai bien compris. C’est la saison.
Les geais, à coups de bec, ont travaillé dans l’arbre.
Même les parcs où veillent, tout pensifs, les dieux de marbre,
Ont de ces chutes-là, sur leurs gazons.
Marron d’Inde là-bas, châtaigne ici. Châtaigne
Rude et sauvage, verte encore, détachée
Par force de la branche où les grands vents, déjà, l’atteignent,
Le vent et les geais ricaneurs, et la nichée
Des écoliers armés de pierres et de gaules.
Comme il faut se défendre ! Sur l’épaule
De la douce prairie en pente, l’on pouvait
Glisser un jour, à son heure, qui sait ?
Et se blottir dans un coin tiède, pour l’hiver…
Ah ! Pourquoi tant d’épines, tant d’aiguilles,
Tant de poignards dressés, pauvre peloton vert ?
Une fente… Voici qu’un peu de satin brille
Et le cœur neuf est là, dessous, et rien ne sert
D’être châtaigne obscure, âpre au goût, si menue !
Fendue, on est une châtaigne presque nue…
Et le coup de sabot sur la tête viendra,
Et le couteau pointu, l’eau bouillante, le pot
Qui sue avec de petits rires, des sanglots
Dans les tisons trop rouges ; tout sera
Comme il est dit en l’ordinaire histoire des châtaignes.
Et vous ne voudriez pas, quand me renseigne
Dans la ville brumeuse, un cri rauque : « marrons tout chauds ! »
Quand j’aperçois, joufflus, blêmes, sans peau,
Ou craquelés et durs avec des taches de panthère,
Les frères de ma sauvageonne, tous ses frères –
Vous ne le voudriez pas, que j’évoque, là-bas,
Un vieil arbre perdant ses feuilles rousses,
Et me souvienne du choc sourd, lourd comme un glas,
De pauvres fruits tués qui tombent sur la mousse ?
Poèmes d’enfant, préface de la Comtesse de Noailles
(Les Cahiers de France, Poitiers, 1926)
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Par Aloysia* le 24 Janvier 2007 à 12:00Je ne peux pas oublier ici la merveilleuse chanson de Claude Nougaro, que je possédais autrefois en vinyle interprétée par Serge Reggiani.
LA NEIGE
Oh la neige ! Regarde la neige qui tombe...
Cimetière enchanté fait de légères tombes
Elle tombe la neige, silencieusement
De toute sa blancheur d'un noir éblouissant
La neige...
Les yeux les mieux ouverts sont encore des paupières
Et Dieu pour le prouver fait pleuvoir sa lumière
Sa lumière glacée, ardente cependant
Coeur de braise tendu dans une main d'argent
La neige...
Elle vient de si haut, la chaste demoiselle
Que sa forme voilée d'étoiles se constelle
Elle vient de si haut, cette soeur des sapins
Cette bombe lactée que lancent les gamins
Elle vient de si haut, la liquide étincelle
Au sommet de la terre elle brille éternelle
Brandissant son flambeau sur le pic et le roc
Comme la liberté dans le port de New York
La neige...
Meneuse de revue aux Folies-Stalingrad
Descendant l'escalier des degrés centigrades
Empanachée de plumes, négresse en négatif
Elle dansait un ballet angélique, explosif
Pour le soldat givré, agrippé à son arme
Oeuf de sang congelé dans un cristal de larmes
Elle danse la neige dans la nuit de Noël
Autour d'un tank brûlé qu'elle a pris pour chapelle
La neige
Tout de suite moisson, tout de suite hécatombe
Oh la neige! Regarde la neige qui tombe...
Malheureusement je n'ai pu en trouver en ligne qu'un très court extrait musical, à cette adresse.
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