•          «  Pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué ? »

               Voici très certainement la devise du mental.

            Car alors qu'en cette vie il n'y a strictement rien à faire : nous sommes nés à notre insu et mourrons de même, et tout le reste se déroule de la même manière sans que nous y puissions quoi que ce soit, notre éducation et les conditions de notre existence nous ayant été imposées, les pensées ou sentiments qui orientent nos prétendus "choix" nous arrivant sans que nous y soyons pour rien, et nos mouvements étant dictés par la nécessité, l'habitude ou l'impulsion la plus inattendue, sans que nous y puissions davantage... Alors donc que la vie s'organise à travers nous sans nous, notre mental ne cesse de nous fatiguer, nous tancer comme la mouche du coche, avec des souvenirs, des jugements, des suppositions, des comparaisons, des projets, des espoirs, des craintes, des angoisses, des regrets, des exigences, etc., etc.

     
              Pour sortir de l'hindouisme ou du soufisme et montrer que la Vérité est la même pour toutes les religions et voies spirituelles d'où qu'elles proviennent je citerai une grande mystique chrétienne, Mme Guyon, qui vécut au XVIIe siècle et fut entre autres le guide spirituel de Fénelon. Ses conclusions sont les mêmes que celles de Ramana Maharshi quand il préconisait : "Déposez donc vos bagages et laissez-vous porter par le train !" à la seule différence qu'elle emploie le mot "Dieu" où il emploierait celui de "Soi", et le mot "âme" où il dirait peut-être "ego"...

     

        « Il me semble que tant que l'âme reste en elle-même par quelque consistance, les choses s'impriment et laissent des traces (...)  ; mais lorsque l'âme est devenue sans consistance et qu'elle s'écoule sans cesse dans son Être original, comme une eau pure et fluide, rien ne s'imprime, tout passe et ne laisse aucun vestige. Ces personnes mêmes ne font presque plus de songes : si elles en font, elles les oublient, rien ne reste. (...) »

    Mme Guyon, De la Vie Intérieure
    (Lettres-discours)- Phénix éditions-2004

     

         Et plus loin :

       «  L'homme s'éloignant de son Dieu et ne s'en rapprochant plus devient une glace pétrifiée qui ne peut plus se dissoudre à moins qu'il ne retourne à son Dieu. Alors il Le retrouve au même lieu où il l'avait laissé, toujours prêt à lui faire sentir les influences de Sa grâce ; et plus il approche de ce soleil, et plus il fond peu à peu, en sorte que si après tant de misères il se rapprochait assez près de Dieu il se fondrait et se liquéfierait entièrement. Ce qui empêche sa liquéfaction parfaite, c'est la propriété 1 qui congèle toujours plusieurs endroits de notre âme, laquelle dès que sa glace est entièrement fondue et rendue toute fluide, s'écoule nécessairement dans son être original, où tous les obstacles sont ôtés. (...)

          Alors il ne reste plus à cette eau aucune impression, aucune qualité propre, aucun vestige. Alors l'Âme dans son rien ne peut rien, n'est propre à rien. Il n'y a que l'Être créateur qui la rende propre à tout ce qui lui plaît. (...) »

    (Id.)

    1 "propriété" : ce terme évoque chez Mme Guyon toute référence aux termes de "moi" ou de "mien", tout ce que l'on rapporte à "soi" en tant qu'individu.

     

        Nous retrouvons ici la conclusion du Cantique des Oiseaux mais sans connotation dramatique : cette liquéfaction, cette fluidité, ne sont que notre état naturel. L'abandon parfait n'apporte que la paix. En nous avalant, le Lion fait de nous ses héritiers.

     

    Abandon

     


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  •  

              Serions-nous ce cours d'eau, qui ne se laisse perturber par rien de ce qui l'environne mais au contraire glisse imperturbablement en lui-même, intouché, inchangé, jusqu'à découvrir que plus rien ne le définit, car dans l'océan il est dissous ?

     

     La symphonie du Ruisseau 1 (Pierre Lescaut)

     

    Elle a surgi
    On ne sait d’où

    Ni comment

     

    Elle serpente à travers champs
    Gaie et chantante
    Sourit aux fleurs

    Aux herbes folles

     

    Elle serpente à travers bois
    Pénètre au creux des noirs fourrés
    Se glissant entre les racines

    Passe un goulet et ressurgit

     

    Elle serpente à travers monts
    File entre les rocs escarpés
    Saute des creux heurte des bosses

    Et plonge en cascade rieuse

     

    Elle s’étale dans la plaine
    En reflétant les blancs nuages
    Elle se rit du vent des grêles

    Et se grise des chants d’oiseaux

     

    Et puis soudain voici l’estuaire
    Et tout à coup plus de rebords
    Elle est dissoute dans le flux

    Où était-elle Que fut son cours

     

    Et puis voici c’est l’Océan
    Plus de limites de mouvement
    Point d’origine et point de terme

    Espace ouvert infiniment

     

     

    Océan

     

     


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  •           Sri Ramakant Maharaj est un disciple de Nisargadatta Maharaj. Il enseigne depuis une dizaine d'années en Inde et est surtout connu par l'ouvrage intitulé "The Selfless Self" (adapté initialement en français sous le titre "Le Soi Sans Rien" puis sous celui de "Soi sans Soi" 1) qui, comme ce fut le cas pour les ouvrages connus de son maître ainsi que pour ceux de la plupart des maîtres de l'advaïta vedanta, est une compilation de ses enseignements enregistrés en direct. 

          On y retrouve ce mode d'expression rapide et incisif qui caractérisait son illustre prédécesseur ; en quelques phrases lapidaires et précises il nous "martèle" (comme il le dit lui-même) les quelques vérités simples que nous avons besoin de redécouvrir mais avons totalement occultées à cause de notre enfouissement dans un corps. 

     

     

    Ramakant Maharaj

     

          Voici un extrait de ce livre. De même que les phrases y sont courtes et percutantes, de même les chapitres sont très brefs avec des titres imagés, comme dans celui-ci : "Visitez votre propre site Web" ! De plus des paragraphes entiers sont retranscrits en caractères gras et en capitales, afin de frapper l'esprit du lecteur et sans doute pour restituer graphiquement le martèlement effectué par Ramakant Maharaj avec sa voix lorsqu'il insistait fortement sur certains points.

     

           Sans la Présence, qui peut étudier la philosophie ou la spiritualité, les centaines de milliers de mots, le Brahman, l'Atman, Dieu, le Maître, le disciple ? Personne ! Quand avez-vous rencontré tous ces mots ? À quoi servent tous ces mots ? Questionnez le Soi ! Découvrez ! Ne continuez pas à juste lire, lire, lire.

          « Comment étiez-vous avant d'être ? Que vous arrivera-t-il après la dissolution de l'être ? Qui veut la paix et une vie sans peur ? » Ces questions doivent être éclaircies et c'est pourquoi vous suivez des études philosophiques, sur la connaissance et la connaissance spirituelle. Mais vous devez aller plus profondément.

        VOUS DEVEZ ALLER PLUS PROFONDÉMENT À LA RACINE DES CAUSES, PLUTÔT QUE PENSER AUX CONSÉQUENCES. ALLEZ À LA RACINE DES CAUSES ET DÉCOUVREZ POURQUOI VOUS LISEZ TOUS CES LIVRES SUR LA SPIRITUALITÉ. (...)

          Le but de la connaissance est basé sur le corps. (...) La connaissance basée sur le corps est seulement pour le corps. (...) Quelle est votre Identité ?

           VOTRE IDENTITÉ EXISTANTE EST L'IDENTITÉ NON IDENTIFIÉE (...), L'IDENTITÉ INVISIBLE, ANONYME.

         (...) VOUS ne vous trouverez pas dans les livres. VOUS n'êtes pas à l'intérieur des mots. Tout ce que vous devez faire est d'accepter et de savoir que « Vous êtes l'Ultime Réalité ». Tout est à l'intérieur de vous, donc :

        CONNAIS-TOI TOI-MÊME ET SOIS À L’INTÉRIEUR DU SOI SANS RIEN. 2

          (...) REGARDEZ À L’INTÉRIEUR DE VOUS-MÊME. LISEZ VOTRE LIVRE. VISITEZ VOTRE TEMPLE. CHERCHEZ VOTRE SITE WEB.

           La connaissance spirituelle vous donne une indication de votre Ultime Vérité. Ce n'est pas l'Ultime Vérité.

             VOUS ÊTES L'ULTIME VÉRITÉ.

            Vous devez avoir cette Conviction. Vous êtes avant tout. La connaissance est venue après. Avant toute connaissance, il y avait votre Présence. Avant même de parler de cette connaissance, votre Présence est requise. Votre Présence est Invisible, Anonyme.


    Le Soi Sans Rien, Entretiens avec
    Sri Ramakant Maharaj,
    édité par Ann Shaw, traduit par J.C. Dhainaut
    (chap. 22 p. 60-61)

     

         Les clés de ce texte sont au début et à la fin avec cette expression : "votre Présence".

         Il n'est rien de plus simple ; et en même temps rien de plus agaçant pour un mental habitué à couper les cheveux en quatre et à s'arnacher à toute occasion comme pour partir à l'assaut du Mont Blanc. Rien ne peut expliquer cette certitude d'exister qui est un ressenti inné ; et c'est cela le Soi, le "Soi sans Rien" car il n'a aucune identité propre et n'est en relation avec rien de manifesté.

         D'abord est apparue la conviction d'être, exprimée par l'affirmation "Je Suis" dont Nisargadatta a fait la base de son enseignement ; et tout le reste : corps, histoire personnelle, caractère, émotions, recherches etc. est venu ensuite.

          Mais cette Présence qui au profond de nous est invisible, anonyme, n'est qu'une projection spontanée, une apparition soudaine et gratuite, comme le disent également Nisargadatta et Ramakant ; elle s'apparente à la projection d'un film sur un écran, ou encore à un rêve. C'est pourquoi, pour répondre à certains commentaires, dans le poème qui précède cet article j'évoquais une rivière dont le flot demeure "intouché, inchangé", et qui serait apparue "on ne sait d'où ni comment"...

         En-deçà de la Présence il n'y a que le "Rien" du Soi sans Soi, l'Immensité.

     

        En illustration sonore à ce texte, voici un merveilleux chant indien mis en musique par Craig Pruess.


       Les  paroles :

    Shivoham Shivoham Shivaswarupoham
    Nityoham shuddhoham buddhoham muktoham
    Nityoham shuddhoham buddhoham muktoham
    Shivoham Shivoham Shivaswarupoham

    Advaitaananda rupam-arupam
    Brahmoham Brahmoham Brahmaswarupoham
    Chidoham Chidoham Satchidaanandoham
    Shivoham Shivoham Shivaswarupoham

    Leur sens :

    Je suis Shiva 3, je suis Shiva, je suis Shiva en vérité !
    Je suis éternel, toute pureté, toute intelligence et toute liberté !
    Je suis éternel, toute pureté, toute intelligence et toute liberté !
    Je suis Shiva, je suis Shiva, je suis Shiva en vérité !

    Unique, toute félicité, avec forme et sans forme,
    Je suis Brahma 4, je suis Brahma, je suis Brahma en vérité !
    Je suis Conscience, je suis Conscience, je suis Vérité-Conscience-Félicité !
    Je suis Shiva, je suis Shiva, je suis Shiva en vérité.

     


     1  Deux éditions existent en français avec le même contenu mais sous les deux intitulés différents à cause de la désapprobation des lecteurs lors de la sortie de l'ouvrage avec le premier titre considéré comme erroné. Cependant la traduction devrait en être aisée, Ramakant Maharaj s'exprimant en anglais et non en marati comme c'était le cas pour Nisargadatta. D'autre part, si l'on approfondit le propos du Maître, l'adaptation par "Soi sans Rien" est parfaitement pertinente puisqu'il s'agit d'aboutir à la Vacuité.
    2 ou "du Soi sans Soi".

    3 "Shiva" = le Souffle de Vie, l'Esprit, le Soi.
    4  "Brahma" = le créateur du monde manifesté.

     


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  •       Solstice d'été ! Saint-Jean d'été ! Aux antipodes de Noël et de la plus profonde nuit d'hiver, les plus hauts jours de l'été !

        Face aux excès de cette chaleur qui nous préserve encore les couleurs chatoyantes d'un printemps juste effacé - les verts resplendissants des prairies et forêts, le bleu éclatant du ciel sans nuage - j'ai cherché un hymne au Soleil, à cette figure adorée et redoutée depuis toujours, en tant que Puissance qui donne la Vie mais aussi la retire, qui éclaire et aussi qui frappe, sans faire la moindre différence entre les êtres, sans se soucier du mérite ni de l'appartenance de ceux qu'il touche.

     

    Le Char du Soleil

     


            Et que m'est-il revenu en tête ? Ce poème de Baudelaire, que le jeune Ferré me fit connaître jadis et mit si bien en valeur. Le voici :

     

    Le Soleil

     

    Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures
    Les persiennes, abri des secrètes luxures,
    Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
    Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
    Je vais m'exercer seul à ma fantasque escrime,
    Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
    Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
    Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.

    Ce père nourricier, ennemi des chloroses,
    Éveille dans les champs les vers comme les roses ;
    Il fait s'évaporer les soucis vers le ciel,
    Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
    C'est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
    Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
    Et commande aux moissons de croître et de mûrir
    Dans le cœur immortel qui toujours veut fleurir !

    Quand, ainsi qu'un poète, il descend dans les villes,
    Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
    Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets,
    Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.

    Charles Baudelaire
    (Les Fleurs du Mal)

     

         On ne trouve pas ce délicieux poème dans les vidéos consacrées à Léo Ferré. Voici donc son interprétation en audio.

     

     Le Soleil

     


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