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    Amaradougou : les bons moments

     
        Allait commencer pour nous un long séjour à l'écart de toute civilisation - où je me sentis quelque peu "en trop" -, durant tout le temps où Francis, accompagné de son guide, quadrilla la région avec la jeep, pour faire un relevé précis de l'immigration malienne en territoire ivoirien.
         Heureusement pour moi j'avais entrepris d'étudier l'anglais, que je n'avais pas appris à l'école et commençais à considérer comme indispensable. Assise dans ma case bien à l'abri du soleil que je trouvai rapidement trop agressif (dès qu'il sortait des nuages, il me paraissait insoutenable !), j'avançai dans la méthode Assimil de façon foudroyante, à raison de quelques heures par jour à chaque début d'après-midi.
        Ayant découvert ma grossesse vers le 15 juillet, celle-ci datait apparemment des environs du 15 juin, et je fus rapidement à l'orée du 3e mois, si bien que je ressentais très précisément le poids dans mon ventre durci. Cela me rendait donc d'autant plus prudente.
         Robert, de son côté, avait mis aussitôt les enfants à contribution, leur montrant dans ses cahiers des images de coléoptères (il cherchait particulièrement à trouver un goliath, énorme insecte dont on lui avait offert, petit, un spécimen naturalisé).

     

    Mon Voyage en Afrique noire - 5

    (Goliaths : photo extraite du site cité en lien)

        Mais apparemment on n'en trouvait pas dans ces régions. Cependant les enfants, très excités (la fille du chef à leur tête), lui expliquèrent qu'il s'agissait de "Gobos" (insectes), et l'entraînèrent en brousse dans l'espoir de lui en trouver et de passer à la postérité ("photota !" hurlaient-ils pour être filmés).
        C'est ainsi qu'on lui présenta une grosse araignée au corps jaune tacheté de noir de la taille environ d'une pièce de 5 francs, qu'il eut terriblement peur d'attraper... Piquait-elle ? Les enfants semblaient affirmer que non... Après bien des hésitations et des questions muettes (personne ne parlait français ici ! Il fallait se comprendre par gestes !), il finit par la prendre et se la poser sur le bras, me demandant de le filmer avec le monstre gravissant son épaule... Il passa ainsi rapidement pour un héros !


    (Elle ressemblait bien à celle-ci : l'argiope fasciée ; cependant je suis surprise
    de trouver sur internet que cette araignée vit surtout en Europe ! Quand je disais que je ne me sentais pas si dépaysée que cela... Pourtant je n'en ai pas trouvé de plus ressemblante !)


        Le matin nous nous promenions tous deux, soit dans les environs qui étaient plutôt "broussailleux", c'est le cas de le dire, soit sur la piste. Nous débarrassant laborieusement des gamins, nous traversions des "champs de caféiers" qui n'étaient que des clairières sommaires où poussaient des arbustes à larges feuilles.

    Mon Voyage en Afrique noire - 5

    Caféier

          Parfois nous croisions des bananiers, dont hélas les bananes n'étaient pas mûres ; puis le petit sentier nous menait dans le bois où nous espérions rencontrer des animaux, et où nous ne trouvions que des colonies de fourmis géantes qui m'épouvantaient : je frissonnais en songeant aux enfants du village marchant toujours pieds nus, alors que moi je bénissais mes sandales.

    Mon Voyage en Afrique noire - 5

    C'était ce genre de gamins (moins les sandales)...

        Au soir, les hommes rapportaient de ces champs des brassées de branchages, voire des troncs sur leur tête, tandis que les femmes ramenaient la récolte dans de grandes bassines, portées de même. 

    Mon Voyage en Afrique noire - 5


         Quand nous empruntions la piste, nous pouvions entendre et apercevoir de loin quelques singes, perchés dans les hautes branches de palmiers qui pointaient au-dessus de la végétation comme chez nous un pin sylvestre. Ils étaient si éloignés que nous ne pûmes jamais en photographier, et je pensais à nos écureuils, qui finalement sont moins sauvages.

    Mon Voyage en Afrique noire - 5


     
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    Extrait de la fresque de Michel-Ange : la Création d'Adam 


     
    Je savais
    Que nos mains aveugles se toucheraient
    Dans le vide du temps

    Je savais
    Que l’étincelle ferait surgir des mondes
    De nos deux abîmes

    Je savais
    Ma pâleur et ma chute
    Et ton envol de feu

    Je savais qu’en tes doigts je deviendrais poussière
    Je savais
    Ton mystère d’été

    Et le temps qui me change en feuille de risée
    Et l’odeur de ta vie qui colore mon sang
    Et l’épaisseur du jour qui te crée ou t’efface

    Mais le dieu s’est glacé
    Et je sais ton sourire
    Il m’a tuée

    Je sais aussi
    Que sous mes pas
    Naissent les fleurs que tu désires

    L’ombre de ton regard
    C’est moi-même immobile à ta source
    Et tes gestes dorés
    Sont mon reflet dans le miroir

    Un vol suffit
    Je le savais

    Mais les étoiles nous entraînent…
     

     Le Rossignol d'Argent
    © Les éditions Saint-Germain-des-Prés, 1974

     
     

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    La vie quotidienne à Amaradougou
     
    Voir ici où nous nous trouvions,
    à l'ouest de Soubré vers la
    frontière du Libéria.

        Comme je vous l'ai dit précédemment, le village, assez grand, était divisé en quartiers qui tous possédaient leur place équipée d'une halle centrale. A l'entrée du village et regardant la piste, se trouvait le quartier appartenant au chef, Amara Fofana, et c'était chez lui que nous habitions. Il se trouvait là aussi les cases de ses différentes épouses, avec leurs enfants respectifs. Il me semble qu'il en avait deux, une de son âge et une plus jeune. La plus âgée était la principale, elle était aussi la mère de la petite fille qu'il aimait tant. Les entrées extérieures des cases étaient tout de même équipées de portes de bois, construites par un menuisier du village que nous découvrîmes un jour en plein travail : assis à même le sol, avec quelques outils rudimentaires (marteau, clous, rabot, couteau, scie), il façonnait ces portes entre ses jambes. C'est lui aussi qui fabriquait les chaises longues que peu de villageois possédaient, et sans doute des chaises comme celle sur laquelle siégeait parfois le chef, le soir, hiératiquement devant sa case...
        Amara était un bon chef, aimé et respecté de ses administrés. Le matin il partait très tôt avec les hommes valides à la chasse. Mais Robert eut beau supplier, jamais il ne réussit à les accompagner. C'était en quelque sorte un maire de village, avec le rôle de prêtre en plus (ainsi, pas de bagarre comme dans "Père et Maire" !).
       
    Toute la journée, les femmes travaillaient à la confection des repas, assistées plus ou moins de leurs enfants jeunes qui abandonnaient vite la partie, ou chargées des tout-petits accrochés derrière leur dos dans un grand pagne. On s'éveillait au son des pilons qui cognaient sans relâche pour écraser le mil, le riz ou le maïs dans d'immenses calebasses et c'était pratiquement sans arrêt jusqu'au soir.

    Mon Voyage en Afrique noire - 6

    Cette photo en donne une idée, mais les pilons d'Amaradougou étaient beaucoup plus étudiés
    que ce sommaire bout de bois : ils étaient épaissis à chaque bout, de manière à être facilement
    pris en mains au centre, mais aussi à écraser plus largement par n'importe quel côté.

        Les jeunes avaient des petits pilons à leur taille, mais ne les utilisaient guère, et je me souviens encore de cette jeune femme qui s'épuisait en plein soleil à frapper le pilon du bras droit tout en portant son bébé de quelques mois sur le bras gauche, s'épongeant de temps à autre le visage de la main... J'avais envie de lui prendre le bébé, mais chaque fois qu'elle s'en défaisait pour le confier à sa fille, il se remettait à hurler... et elle le reprenait. Ah ! C'étaient de bonnes mères ! Emportées dans leur élan, lorsqu'elles étaient en forme, elles faisaient sauter en l'air le pilon en le relevant et le rattrapaient pour frapper.

    Mon Voyage en Afrique noire - 6

    Voici un exemple de la tenue de ces femmes :
    elles portaient toujours des pagnes superbes aux couleurs chamarrées
    (beaucoup de rouge, de jaune et de noir ; parfois du vert, du bleu foncé pour rehausser)

        Il leur fallait aussi aller chercher l'eau nécessaire aux quelques puits disposés à différents endroits du village : ces puits n'étaient que des orifices disposés dans la terre et entourés d'une petite margelle rudimentaire, qu'on avait équipés d'un treuil après lequel était fixée une outre noire. La femme arrivait avec son unique ustensile bon à tout faire : sa grande bassine d'émail bleue. Elle tirait une outre du puits, la versait dans sa bassine, puis remettait tout proprement en place pour l'usager suivant, et, réinstallant sur sa tête le foulard destiné à l'aider à caler la bassine, hissait celle-ci au sommet de son crâne et repartait avec un équilibre qui faisait mon admiration. D'ailleurs ce travail était souvent l'oeuvre des jeunes filles, qui ainsi se façonnaient un port magnifique.
        A midi, la plus jeune des femmes du chef apportait une bassine de nourriture pour nous dans la case de Francis. Elle s'inclinait et nous souhaitait :
    Barka !
        Ce qui veut dire : "Bon appétit". Et nous répondions :
    Anikié ! (merci).
        Ils nous donnaient ce qu'ils avaient de meilleur, je le découvris par la suite. Et cela nous paraissait pourtant une maigre pitance... C'était un plat de riz agrémenté d'une sauce très pimentée qui nous calait l'estomac, avec quelques petits bouts, soit d'agouti (c'est le nom qu'ils donnaient là-bas aux singes qu'ils chassaient), soit de poisson séché rapporté du Sassandra. Je me félicitais de m'être bien nourrie le mois précédent en Périgord ! Car là, non seulement il n'y avait aucun légume, mais en plus les portions étaient fort maigres. Nous mangions dans la case de Francis et Margaret qui était équipée d'une table, et qui possédait la cruche d'eau dans laquelle nous glissions des pastilles pour purifier notre boisson.
        Le soir, vers sept heures, c'était la même chose. Quant au matin, nous nous faisions nous-mêmes notre café soluble, auquel nous ajoutions les biscuits que nous pouvions parfois rapporter de Soubré. Francis, généralement parti toute la journée avec la jeep, nous y conduisait parfois en s'en allant, nous en laissant revenir à pied.
     

    Mon Voyage en Afrique noire - 6
    La piste vers Soubré

      
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        Je vous la laisse déduire des multiples extraits musicaux glanés sur les sites de vente de disques... Et je ne vous cite pas les disques qui n'en donnent pas d'extraits ! Il va sans dire que la qualité de l'interprétation est très variable, mais vous la découvrirez par vous-mêmes.


    Extrait n°1 : disque en écoute, plage 25
    Extrait n°2 : disque 7, plage 4

    Extrait n°3 : disque en écoute, plage 4
    Extrait n°4 : disque en écoute, plage 6
    Extrait n°5 : disque 6, plage 25
    Extrait n°6 : disque 1, plage 21
    Extrait n°7 : disque 1, plage 6
    Extrait n°8 : disque en écoute, plage 12
    Extrait n°9 : disque en écoute, plage 7
    Extrait n°10 : disque 1, plage 4
     

     

         C'était... L'intermezzo du Carnaval de Vienne de Robert Schumann bien sûr ! Je vous laisse apprécier ce petit bijou sous toutes ses facettes.
     

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    Promenades

     

        Les promenades aux alentours du village m'ayant vite déçue à cause des insectes qui pullulaient dans les bois, nous prenions parfois la piste pour retourner à Niamagui, village francophone peu éloigné. Là, Robert entreprenait les jeunes gens désoeuvrés pour qu'ils nous expliquent la vie locale et nous conduisent au fleuve Sassandra, où nous espérions rencontrer des crocodiles, ou qui sait ? Un beau serpent enroulé dans un arbre... Enthousiastes, nos guides évoquaient de dangereux animaux, se risquaient à nous effrayer à l'idée d'âmes défuntes errant sur les eaux ; mais jamais nous ne vîmes rien ! Pas un mouvement, pas un tronc suspect. Le fleuve n'était pas si éloigné du Niamagui. Quelques pirogues s'y trouvaient amarrées, mais on nous interdit formellement d'y mettre le pied : danger !!! L'eau coulait, boueuse sur une largeur qui ne paraissait pas énorme. Mais rien ne nous apparut : c'était peut-être préférable ! "Dans nos  forêts aussi, nous disions-nous, les bêtes se cachent..."

    Mon Voyage en Afrique noire - 7

    Vue du Sassandra vers Soubré

        D'autres fois nous nous rendions à Soubré, empruntant la voiture de Francis à l'aller, et revenant à pied : cela faisait environ deux heures de marche. La piste était jalonnée de marcheurs, voire de cyclistes sur de vieilles bécanes rouillées ; mais c'est surtout entre Niamagui et Amaradougou que l'on voyait passer des femmes,
    par groupes, qui rapportaient leur récolte de palmes sur la tête, dans de grandes bassines, en devisant gaiement et en se dandinant dans leurs robes moulantes et colorées.

    Mon Voyage en Afrique noire - 7


        Soubré était une ville pauvre, faite de baraquements et dont les pistes n'étaient pratiquement pas goudronnées. Mais il s'y trouvait un dispensaire pour les malades et un marché quasi permanent. Peu de choses, dans ce marché, et généralement posées sur des tapis à même le sol ; cependant, nous étions devenus clients et bons amis d'un certain libanais, dont les manières et le parler se rapprochaient des nôtres, et qui nous régalait de petits beignets et de sucreries vraiment délicieuses...


    Valentine de Saint-Michel (= moi) en voyage à Soubré



    Artiste parisien fumeur de pipe à Soubré (= Robert)


        De retour à Amaradougou vers midi, nous retrouvions de nouveaux amis, et notamment, à l'entrée du village, le bon Sékou Traoré, un homme d'une soixantaine d'années au crâne dégarni et toujours vêtu d'une longue robe noire qui paraissait noble et bon, et qui choyait la dernière-née de sa jeune épouse, une toute petite fille en robe rose d'environ dix-huit mois, qui marchait à peine. Nous étions dans le quartier "chic", et ces gens étaient relativement bien vêtus et bien nourris. Cependant, la fillette toussait si fort qu'un jour nous insistâmes pour l'emmener avec nous en voiture à Soubré, de peur qu'elle n'ait la coqueluche. Il n'en était rien ! La jeune mère en fut tout heureuse.
         Au matin, en les quittant pour notre promenade, nous les saluions d'un:
    - Ané ségoma ! (ce qui signifie "bonjour", pour le matin)
    Auquel ils nous répondaient par :
    - Eré silla ? ("as-tu bien dormi ?")
        Et en revenant le midi, nous pouvions dire :
    - Ané télé ! (ce qui veut dire "bonjour", dans la journée).
        Cependant notre vocabulaire ne s'étendit pas trop, en malinké. Nous parvenions à échanger grâce à nos gestes, et parce qu'ils connaissaient tout de même quelques mots de français. Bientôt, Robert fut si familier avec Sékou Traoré que ce dernier insista pour qu'il demeure en Afrique ! Les gens sentaient bien que le rêve de Robert, nouveau Rimbaud, était de s'installer là, loin de toute civilisation.
    - "Reste avec nous ! Lui faisaient-il comprendre. Nous te laisserons une parcelle de terre, que tu défricheras, tu construiras ta case, et tu feras partie du village."
        Ah ! Robert était adopté ! Mais moi je levais des yeux suppliants : surtout avec mon bébé dans le ventre... Et Robert disait : "Non, ce n'est pas sérieux..." Ouf !

        Un jour, Robert obtint je ne sais comment, de Francis ou de Coulibaly, qu'un guide vienne nous chercher pour nous faire voir le point extrême de la piste, qui s'achevait en cul-de-sac : c'est-à-dire l'entrée de la "forêt vierge".


    C'était la tenue permanente de Robert pour "bourlinguer" dans la brousse.
    (On se croirait presque sur un chemin creux en Bretagne, n'est-ce pas ?)

        En effet, après quelques kilomètres et un ou deux villages, la piste cessait, formant une sorte de parking circulaire autour duquel apparaissaient quelques arbres abattus. Nous entrâmes dans la haute broussaille, à la suite du guide armé d'une machette, qui nous expliqua qu'à partir de là il était impératif d'être muni d'une boussole,  car rien ne permettait de se repérer. Cependant la forêt, d'allure plutôt sèche, n'était pas si touffue que cela, et nous pouvions évoluer relativement aisément entre les troncs aux gigantesques racines, suivant parfois des pistes d'animaux, ou écartant les épines des acacias qui nous barraient fort désagréablement le passage.

    Voici quelques vues de cette forêt, trouvées sur internet.

    Mon Voyage en Afrique noire - 7
    La région d'Amaroudougou correspondait exactement à ce type de paysage

     


    Mon Voyage en Afrique noire - 7 
    Et voici l'aspect approximatif du sous-bois,
    mais moins humide dans mon souvenir (c'est peut-être une question de saison ?)
     


         Lorsque nous revînmes à notre point de départ, environ une demi-heure plus tard, j'étais tout de même soulagée de sortir de ce fouillis... Je ne me souviens même pas quelles pistes d'animaux nous avions suivies, car je n'imagine pas les éléphants pénétrer dans un tel embrouillamini de branchages. Ce dont je me souvenais le mieux, c'était des épines, car j'étais pleine de griffures.

     
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